Les pharmaciens de Mayotte exercent dans un milieu dont les spécificités, liées notamment à l'organisation du système de santé, exacerbent les tensions et l'insécurité. L'Ordre se mobilise pour les confrères mahorais.

Les faits

Mayotte, le 101e département français depuis 2011, connaît une situation " extraordinaire " à bien des égards par rapport à la Métropole :

  • avec 256 500 habitants recensés en 2017, Mayotte est le département français ayant connu la croissance démographique la plus forte, du fait notamment d’une immigration importante venue des Comores voisines ;
  • plus de la moitié des habitants ont moins de 17 ans et le niveau de vie y est parmi les plus bas en France ;
  • la couverture sociale de la population n’est pas alignée sur celle applicable en Métropole. Malgré un élargissement des droits applicable en 2019, le déploiement du dispositif n’a pas encore atteint son objectif.

La crise sanitaire liée au coronavirus est venue aggraver les tensions et l’insécurité dans les 23 officines mahoraises, ainsi que dans les 5 pharmacies des centres médicaux de référence réparties sur le territoire et qui prennent en charge les populations dépourvues de droits.

La dernière semaine de janvier, trois agressions de personnels d’officine – dont deux cambriolages – ont encore été signalées à l’Ordre.

" L’Ordre s’inquiète des violences grandissantes et récurrentes que subissent les professionnels de santé, et plus particulièrement les pharmaciens de Mayotte. Les conséquences de cette situation inédite de dégradation de la sécurité dans le territoire de Mayotte sont nombreuses et graves, puisque les soignants ne peuvent exercer dans un climat propice, leur permettant de répondre aux attentes légitimes de la population locale dont le besoin sanitaire est grandissant. Cette situation risque de conduire à une pénurie de soignants à moyen terme ", souligne Brigitte Berthelot-Leblanc, présidente du Conseil central de la section E (représentant les pharmaciens des départements et collectivités d’outre-mer).

 

Ce qu’il faut retenir

Très attaché à ce que les confrères puissent exercer dans un climat de sécurité physique et psychologique, l’Ordre est mobilisé sur le sujet. Il a informé les autorités locales des violences auxquelles font face les pharmaciens. Il a, de plus, adressé des courriers aux ministères des Solidarités et de la Santé, de l’Intérieur et des Outre-mer pour les alerter sur cette situation critique. Des échanges ont également eu lieu auprès du pôle santé de Matignon.

L’Ordre a, en outre, émis plusieurs propositions pour contribuer à l’amélioration du système de santé, notamment :

  • revoir les règles d’implantation des officines dans le cadre de l’ordonnance relative au maillage territorial ;
  • limiter l’offre pharmaceutique des centres de consultations périphériques aux seuls besoins humanitaires de la population dépourvue de droits pour mieux encadrer et contrôler la délivrance du médicament dans les règles du code de la santé publique ;
  • disposer d’une méthodologie et d’un calendrier précis permettant le déploiement de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) à Mayotte à tous les bénéficiaires potentiels.

 

En pratique pour le pharmacien

Le référent sécurité de Mayotte prend contact avec les pharmaciens après chaque agression pour les accompagner, les orienter, les rassurer, les conseiller sur les suites à donner.

 

Parole de pharmacien

Makrem Ben Reguiga, pharmacien, chef de service au centre hospitalier de Mayotte, conseiller ordinal à la délégation La Réunion-Mayotte

" Les pharmaciens font partie des premières victimes de cette violence à Mayotte : plusieurs agressions de confrères aux comptoirs ; des officines situées en centre-ville cambriolées à maintes reprises ; d’autres forcées de fermer car visées par des attaques organisées ; des grossistes-répartiteurs dans une quasi-incapacité de livrer des médicaments, faute de routes sécurisées et accessibles… L’hôpital n’est pas non plus un sanctuaire inviolable : à plusieurs reprises, des acteurs (SMUR, transport sanitaire…) ou des sites hospitaliers (Dzoumougné, dans le Nord, Kahani, dans le Centre) ont été attaqués, du personnel médical et non médical agressé, et le matériel, dégradé. Les pharmaciens hospitaliers ne sont pas épargnés : agressions verbales régulières, agressions physiques et un véhicule de pharmacien de garde dégradé. Tout cela est favorisé par un parcours de soins rendu chaotique : l’unique hôpital de l’île se retrouve à prendre en charge une filière ambulatoire de plusieurs dizaines de milliers de patients non affiliés sociaux.

Les pouvoirs publics ont pu se reposer sur les pharmaciens pour être acteurs principaux dans la gestion de la crise liée à la Covid-19 : depuis la gestion et la distribution du stock d’État des masques, la vaccination antigrippale jusqu’à la réalisation des tests antigéniques Covid-19. Aujourd’hui, ces mêmes pharmaciens mahorais attendent des actions fortes et concrètes pour rétablir l’ordre et la sécurité dans le département. "

 

Pour aller plus loin