Chef de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), Donatien Le Vaillant évoque le rôle majeur des pharmaciens pour les détecter, en particulier dans le champ de la santé.

Donatien Le Vaillant a été magistrat de l’ordre judiciaire pendant vingt ans, essentiellement en juridiction. Il a intégré l’inspection générale de l’administration en 2020 et a été nommé chef de la Miviludes en février 2023.

Les missions et moyens d’action de la Miviludes

Créée en 2002 et rattachée au ministère de l’Intérieur par un décret de juillet 2020, la Miviludes est un service dédié à la protection du public contre les dérives sectaires.

Son rôle est multiple et peut se résumer en trois mots :

  • observer, d’abord : la Miviludes analyse l’évolution des mouvements à caractère sectaire et exerce sa vigilance sur les agissements attentatoires aux droits fondamentaux de la personne humaine ou contraires aux lois et règlements ;
  • prévenir, ensuite : elle est chargée d’informer le public sur les risques des dérives sectaires et, le cas échéant, sur les dangers auxquels il est exposé ;
  • aider, enfin : il s’agit de faciliter la mise en œuvre d’actions pour aider les victimes des dérives sectaires. La mission publie un rapport d’activité rendant compte des dérives sectaires qui lui sont signalées.

Des dérives en expansion dans la santé

Dans le domaine de la santé et du bien-être, les dérives sectaires représentent plus de 25 % du nombre de signalements et sont en augmentation constante, comme dans les autres domaines. Depuis 2015, le nombre total de signalements et de demandes d’information a presque doublé (de plus de 2 000 à plus de 4 000 par an).

Pour l’essentiel, les signalements reçus à la Miviludes dans ce champ concernent les pratiques non conventionnelles en santé (PNCS).

Il faut d’abord rappeler que la notion d’emprise sectaire répond à un certain nombre de critères issus de l’expérience de la Miviludes : adhésion inconditionnelle, rejet du monde extérieur, exigence d’une disponibilité toujours plus grande et de contributions financières exorbitantes, prosélytisme abusif, culte du chef, endoctrinement des enfants, fonctionnement opaque et cloisonné de la structure, contrôle mutuel des membres, difficultés à quitter le groupe… Les nombreux facteurs de dérives sectaires aboutissent à aliéner le libre arbitre des victimes.

À la clé : des drames humains, allant parfois jusqu’au décès, qui nécessitent d’agir sans tarder pour aider les victimes à échapper à ces mouvements. Les dérives sectaires sont le plus souvent constatées dans différents secteurs, comme la formation professionnelle, le développement personnel, le domaine scolaire et périscolaire. Une nouvelle tendance se déploie également dans le champ du numérique, avec l’émergence de « gourous 4.0 »…

Le champ de la santé est particulièrement propice à ces pratiques, en jouant sur la vulnérabilité de personnes en grande souffrance physique ou psychique, parfois soumises à des traitements lourds ou vivant des moments de vulnérabilité.

Le cancer concentre plus de la moitié des signalements de dérives sectaires en matière de santé : face à la détresse des patients, des individus ou groupes d’individus vont proposer des méthodes de soins vendues comme miraculeuses. Les victimes sont enjointes à renoncer aux soins scientifiquement validés et à verser des sommes d’argent en contrepartie de conseils et de produits de la part du mouvement sectaire.

À la suite de la réunion des Assises nationales de lutte contre les dérives sectaires en mars 2023, le Gouvernement a annoncé une stratégie nationale 2024-2027 en novembre 2023. Celle-ci comprend des mesures dans le champ de la santé, notamment sur le plan de la prévention, et des textes législatifs et réglementaires. Ainsi par exemple, la loi du 10 mai 2024 permet désormais aux professionnels de santé, avec l’accord de la victime lorsqu’elle est majeure, de déroger au secret professionnel afin d’alerter sur des faits délictueux, en matière de dérives sectaires. Cet accord n’est pas nécessaire lorsqu’il s’agit d’un mineur.

Le rôle des pharmaciens

Acteurs de santé de proximité, les pharmaciens sont en contact étroit avec l’ensemble de la population. La pharmacie est un espace de confiance, où les citoyens se livrent volontiers, exprimant leurs difficultés, parfois au-delà des seuls problèmes de santé. Parce qu’ils ont un lien privilégié avec leurs patients, les pharmaciens sont en mesure de repérer des signes de fragilité, des comportements inquiétants, l’expression d’un isolement social, et ils sont surtout capables de fournir des informations fiables aux personnes.

À titre d’exemple, les ruptures de soins sont très fréquentes et presque systématiques en cas de dérives sectaires (comme les ruptures avec l’environnement d’origine). Les pharmaciens peuvent, à ce titre, jouer un rôle essentiel de prévention, en informant les personnes sur les risques de santé, en les incitant à continuer de voir leur médecin traitant et, dans des cas spécifiques, à solliciter la Miviludes.

Collaboration avec l’Ordre

Notre collaboration avec l’Ordre national des pharmaciens est ancienne. En tant qu’institution ordinale, il joue un rôle majeur dans le repérage et l’instruction de l’exercice illégal de la pharmacie, qui peut être l’un des leviers utilisés par les mouvements sectaires.

Avec la convention que nous avons signée début novembre, nous souhaitons aller plus loin, en posant un cadre souple, agile, visant à accroître nos échanges, partager nos analyses et sensibiliser l’ensemble des pharmaciens à la détection et au signalement des pratiques sectaires. Cette convention prévoit notamment l’élaboration conjointe de messages d’information et de sensibilisation aux risques de dérives sectaires, dont une fiche d’aide au repérage des risques d’empreinte sectaire chez les patients, destinée aux pharmaciens, et la diffusion aux pharmaciens de supports élaborés par la Miviludes.

ACTIONS DE L'ORDRE

Début 2024, l’Ordre a contribué aux travaux parlementaires ayant abouti à la loi du 10 mai 2024, visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et l’accompagnement des victimes. Il a participé au comité d’appui à l’encadrement des pratiques non conventionnelles en santé, aux côtés   de la Miviludes et des autres ordres de santé, de représentants institutionnels, de représentants de patients et de sociétés savantes.

Dans le cadre de son partenariat avec la Miviludes, l’Ordre sera appelé à se mobiliser pour mettre à disposition des pharmaciens des outils d’information (en lien, notamment, avec le programme « La minute santé publique » du Cespharm) et d’aide au repérage des risques d’empreinte sectaire chez les patients. Par ailleurs, l’Ordre a pour mission de défendre l’intérêt collectif de la profession devant les tribunaux, dans un objectif de santé publique. 

À cet égard, il est amené à être partie civile dans des procédures pénales d’exercice illégal, dans des situations de dérives thérapeutiques, y compris dans un contexte de dérives sectaires.