Tous Pharmaciens La revue n°27 - avril 2025
RENCONTRE
"Dans l’accompagnement des victimes de soumission chimique, le rôle du pharmacien peut être déterminant" Dr Leila Chaouachi, pharmacienne à l’hôpital Fernand Widal et fondatrice du Crafs (AP-HP)
09/04/2025
Agression - Exercice professionnel

La médiatisation du procès de Mazan a révélé au public le mécanisme de la soumission chimique ainsi que l’ampleur du phénomène. Dans cette course contre la montre que constitue le parcours des victimes, le pharmacien peut être le premier interlocuteur. Son rôle est crucial.
La soumission chimique est le fait d’administrer une substance psychoactive à une personne à son insu ou sous la menace, c’est-à-dire sans son consentement, dans le but de commettre un crime ou un délit. D’après les dernières enquêtes nationales « Soumission chimique » menées par le centre d’addictovigilance de Paris, parmi les substances utilisées, les médicaments, en particulier les sédatifs (benzodiazépines, antihistaminiques, opioïdes, neuroleptiques, antiépileptiques), restent majoritaires, qu’ils soient utilisés pour leurs effets propres ou indésirables. Toutefois, l’usage de drogues illicites progresse. Les stimulants, notamment les drogues de synthèse comme la MDMA, sont de plus en plus prisés pour leurs effets euphorisants, désinhibants et hypersensualisants. Des drogues dissociatives telles que le cannabis ou la kétamine, altérant la perception de la réalité, sont également détournées à des fins criminelles ou délictuelles. Mais que l’agresseur veuille sédater, stimuler ou dissocier, son objectif est le même : réduire au maximum, voire annuler les capacités de défense de sa victime pour faciliter son passage à l’acte criminel. Aussi, les enquêtes annuelles « Soumission chimique », qui suivent l’évolution de ces usages criminels, contribuent à sensibiliser les professionnels.
Remettre en question les préjugés
Ces enquêtes déconstruisent les idées reçues, ce qui est essentiel au repérage des cas de soumission chimique. Si 80 % des victimes sont des femmes (enquête 2022), les hommes et les personnes transgenres sont aussi concernés. Les violences sont majoritairement sexuelles (63 %), mais incluent aussi des vols, séquestrations, homicides et maltraitances chimiques, touchant notamment des enfants et des personnes âgées. Bien que les 20-29 ans soient surreprésentés, les victimes sont de tout âge (de 9 mois à 90 ans), classe sociale et niveau d’études. Enfin, ces agressions ne se déroulent pas seulement en milieu festif (44 %), mais aussi dans la sphère familiale et professionnelle.
Déculpabiliser et accompagner
Dans près de la moitié des cas, l’auteur est connu de la victime. La soumission chimique est avant tout une trahison de confiance. La victime ne doit jamais se sentir coupable. Pour rappel, le sentiment de culpabilité est l’un des principaux freins au dépôt de plainte et à l’accès aux soins. L’isolement est un danger : en tant que professionnel de santé de première ligne, le pharmacien est facilement accessible et peut assister la victime sans jugement, en respectant son rythme. Il doit connaître les signes qui alertent pour orienter les victimes vers une prise en charge adaptée. Le plus souvent, la victime qui soupçonne une soumission chimique présente des troubles psychiques (amnésie, somnolence, vertiges…) associés à des signes d’agression possible (vêtements retirés, logement saccagé…), et attend du professionnel de santé des conseils sur la marche à suivre. Pour les victimes qui s’ignorent, un diagnostic doit être posé par un médecin. La soumission chimique est envisagée devant des signes récurrents, le plus souvent dans un contexte de « rituel », lorsque toutes les autres causes sont écartées.
Pharmacien : Quelle conduite adopter face à une potentielle victime ?
Contacter le Crafs, plateforme d’aide et d’orientation
Pour toutes les situations qui relèvent des agressions facilitées par les substances, le réflexe est de contacter le Crafs, en ligne sur le site lecrafs.com ou par téléphone (01 40 05 42 70, du lundi au vendredi de 9 heures à 13 heures et de 14 heures à 18 heures). Le service propose de multiples ressources et permet de contacter une téléconseillère pharmacologue spécialisée pour un conseil personnalisé, ou de déclarer en ligne une agression.
Gérer l’urgence sanitaire
- En cas de violence sexuelle, évaluer le risque de grossesse non désirée et proposer une contraception d’urgence dans le respect des délais impartis (trois jours pour le lévonorgestrel, cinq jours pour l’ulipristal).
- Orienter le plus rapidement possible vers un Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) pour prévenir le risque d’infection sexuellement transmissible : une prophylaxie anti-VIH peut être mise en place dans les 48 heures, ainsi qu’une prophylaxie anti-VHB dans les 48 heures, sept jours au plus tard, avec un suivi sérologique à six semaines pour le VIH et trois mois pour les hépatites.
Encourager la judiciarisation
Une course contre la montre s’engage pour préserver les preuves. Il faut encourager le dépôt de plainte. Le Crafs peut être un appui.
Actions de l'Ordre national des pharmaciens
Mobilisé depuis plusieurs années dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, l’Ordre est aussi engagé dans la campagne nationale de sensibilisation sur la soumission chimique, en partenariat avec le secrétariat d’État chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes, le Crafs, l’association #MendorsPas et la Société francophone des sciences pharmaceutiques officinales (SFSPO). Depuis décembre 2024, cette campagne, déployée en officines, pharmacies à usage intérieur et laboratoires de biologie médicale, valorise la plateforme du Crafs. Des outils pour le grand public (affiches, flyers, vidéos) sont disponibles sur le site du Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française (Cespharm).
Mini-Bio
Le Dr Leila Chaouachi est pharmacienne au Centre d’addictovigilance de Paris (AP-HP). Experte pour l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), elle est rapporteur depuis 2021 de l’enquête nationale annuelle sur la soumission chimique. Elle est également fondatrice du Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances (Crafs), spécialisé dans l’accueil et l’orientation des personnes victimes de soumission chimique.