Tous Pharmaciens La revue n°27 - avril 2025
DOSSIER
Santé mentale : le rôle des pharmaciens
09/04/2025
Santé publique

Désignée comme Grande cause nationale 2025, la santé mentale est au premier rang des priorités de santé publique. Le bilan épidémiologique montre l’ampleur des fragilités psychiques de la population française. Tous les professionnels de santé doivent s’engager, dont les pharmaciens, acteurs de santé de proximité.
En septembre dernier, le Premier ministre, Michel Barnier, prenait une décision attendue dans le monde de la santé : ériger la santé mentale comme Grande cause nationale 2025. Un engagement confirmé en janvier par son successeur, François Bayrou, tandis que les chiffres attestaient la prévalence croissante des troubles psychiques et maladies mentales en France. En effet, 13 millions de Français y sont confrontés chaque année(1), et une personne sur trois souffrira d’un trouble psychique au cours de son existence. L’épidémie de Covid-19 a été un révélateur et un accélérateur de ces pathologies, notamment chez les jeunes et les plus vulnérables. Le suicide est par ailleurs devenu la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans, à l’origine de 10 000 décès par an, tous âges confondus(2). Si ce chiffre a certes diminué de 33 % en 20 ans, les spécialistes s’alarment d’une hausse des cas de suicide dans la tranche des 11-13 ans. Outre ce phénomène, on sait qu’aujourd’hui l’espérance de vie des personnes touchées pardes troubles psychiatriques sévères est inférieure de 13 à 16 ans à celle de la population générale(3). Le coût des pathologies mentales représente également un enjeu financier considérable : avec 25 milliards d’euros par an(4), c’est le premier poste de dépenses de l’Assurance maladie, devant les maladies cardiovasculaires et le cancer.
13 millions de Français
confrontés aux troubles psychiques et aux maladies mentales chaque année.
Une offre de soins sous haute tension
La prise en charge des troubles psychiques et psychiatriques souffre des effets de la pénurie de l’offre de soins. Elle nécessite du temps médical pour écouter le patient, tenter de poser un premier diagnostic et l’orienter si nécessaire vers des spécialistes. Mais le déficit de psychiatres – une spécialité jugée peu attractive – peut compliquer le parcours de soins des patients, avec des délais d’accès importants aux consultations spécialisées. C’est particulièrement le cas en pédopsychiatrie : le nombre de spécialistes diminue chaque année en France. Et il faut souvent de six mois à un an(5) pour obtenir un rendez-vous.
Lors de sa déclaration en septembre, Michel Barnier annonçait le doublement des Maisons des adolescents. Lancées il y a une vingtaine d’années, 125 de ces structures dites « de première intention » existent aujourd’hui. Leur objectif est de faire bénéficier les jeunes en difficulté d’un accompagnement rapide, à proximité de chez eux et de les orienter, si nécessaire, vers des prises en charge plus spécialisées. Elles visent notamment à diminuer la pression sur les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP). Réservés aux moins de 20 ans, les CMPP sont excessivement sollicités et, à défaut de moyens suffisants, subissent une baisse des effectifs depuis une décennie. Les pédopsychiatres partant à la retraite ne sont pas remplacés et les postes d’orthophonistes ne sont pas pourvus. L’une des conséquences de ces difficultés de prise en charge est la surmédication des enfants et adolescents.
Psychotropes : une prescription en forte hausse chez les 6-17 ans
En février 2025, un rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l'âge (HCFEA) citait de fortes hausses de prescriptions par catégorie de médicaments entre 2010 et 2021 chez les plus jeunes : + 114 % pour les antipsychotiques, + 35 % pour les hypnotiques et les anxiolytiques, + 179 % pour les antidépresseurs et normothymiques, + 148 % pour les psychostimulants. À cette occasion, l’Ordre a tenu à rappeler que le dispensateur a un rôle à jouer pour s’assurer de la conformité de la prescription des médicaments psychotropes. Outre la nécessité de vérifier les conditions de prescription, il doit interroger le médecin en cas de prescription hors autorisation de mise sur le marché (AMM), avec la possibilité de s’y opposer.
Rendre visible, déstigmatiser, favoriser l’innovation
Le statut de Grande cause nationale constitue un label officiel qui permet d’améliorer fortement la visibilité d’un sujet auprès de l’opinion publique. Il ne signifie pas nécessairement des moyens financiers supplémentaires. En revanche, des espaces de communication sont, par exemple, mis à disposition dans des médias grand public.
De nombreux événements sont en outre organisés durant l’année, avec l’objectif de mieux faire connaître la diversité des pathologies, leurs répercussions sur la qualité de vie des patients, leurs difficultés de prise en charge et les améliorations à adopter pour mieux soigner, soutenir et accompagner les patients tout au long de leurs parcours de santé.
Outre la prise en charge médicale des patients, l’enjeu est aussi sociétal. « Le but, en premier lieu, est de lutter contre la stigmatisation dont souffrent les personnes concernées par les troubles psychiques, explique Angèle Malâtre-Lansac, déléguée générale de l’Alliance pour la santé mentale et copilote de la mission nommée par le Premier ministre sur la Grande cause nationale. Les troubles mentaux, outre leurs effets sanitaires, accroissent l’isolement, les difficultés d'accès aux soins et aux droits et les handicaps socioprofessionnels, en raison de la perception négative qui les entoure. Il faut renforcer également l’information et la prévention sur la santé mentale et ses déterminants, en se donnant les moyens d’agir dès les premiers signes. L’amélioration de l’accès aux soins et de la qualité des prises en charge devra par ailleurs être au cœur de nos objectifs. Enfin, des progrès décisifs ont été obtenus ces dernières années dans le champ de la recherche et des neurosciences. Il faut rendre visibles ces innovations, soutenir davantage la recherche et favoriser la diffusion des innovations, qu’elles soient thérapeutiques, numériques, technologiques ou organisationnelles. »
Les ambitions de la Grande cause nationale
2025 sera une année de sensibilisation et d’actions centrées sur la Grande cause nationale. L’objectif du gouvernement est de mettre en place une véritable politique de santé mentale, autour de quatre axes prioritaires :
- la déstigmatisation des troubles psychiques et mentaux ;
- le développement de la prévention et du repérage précoce, par la sensibilisation et la formation dans toutes les sphères de la société ;
- l'amélioration de l'accès aux soins, avec un renforcement de l’offre de soins en matière de santé mentale ;
- l'accompagnement des personnes concernées dans toutes les dimensions de leur vie quotidienne, comme la formation, l'emploi, le logement, l'accès aux loisirs, etc.
Cette stratégie nationale vise à améliorer les conditions de vie, l'inclusion sociale et la citoyenneté des personnes qui vivent avec des troubles psychiques, tout en renforçant l'accès à des soins et des accompagnements adaptés.
En savoir plus :
Prise en charge des patients hospitalisés
À l’hôpital, dans les établissements dédiés à la santé mentale, la prise en charge des patients a beaucoup évolué en deux décennies, avec le développement de l’ambulatoire. « 98 % de nos consultations sont effectuées pour des patients inscrits dans notre file active en ambulatoire, et seuls 2 % des patients sont hospitalisés, indique Sophie Armand-Branger, PR et présidente de la CME(9) du Centre de santé mentale angevin (Cesame) et conseillère ordinale à la section H(10) de l’Ordre. La prise en charge est complexe, du fait de la chronicité de la majorité des pathologies psychiatriques, nécessitant une réelle articulation entre les différents professionnels impliqués dans le rétablissement de l’usager. »
Un accompagnement essentiel pour le patient
Le rôle de pharmacien est essentiel pour sécuriser le parcours thérapeutique du patient, en particulier dans le cas des médicaments à haut risque, comme en témoigne Véronique Berlaud, pharmacien-responsable au centre hospitalier Montperrin à Aix-en-Provence : « Nous sommes très investis dans la pharmacie clinique. Il faut, par exemple, être particulièrement vigilant sur les dates d’injection de neuroleptiques à effet retard. » La collaboration avec les acteurs de ville est essentielle, avec un travail constant sur la conciliation médicamenteuse. « Régulièrement, je dois faire de la “spéléologie” pour reconstituer les historiques des médicaments délivrés. Nous devons améliorer le lien avec les médecins généralistes, les psychiatres, les officinaux, ainsi qu’avec les CMPP. »
Le PR, dans les établissements de santé mentale, est également très investi auprès des patients. « Outre l’organisation des parcours de soins et les phases de conciliation médicamenteuse, nous participons régulièrement à des ateliers visant à favoriser l’observance et le bon usage, et à répondre aux questions des patients, par exemple sur la consommation d’alcool, la prescription d’un générique ou les effets du tabac. » Certains ateliers, comme AcceptVoices, sont réservés aux patients schizophrènes. D'autres, comme QuizzOpio, proposent des quiz sur les opioïdes pour la prévention et la réduction des risques de surdoses liées aux opioïdes.
Il est par ailleurs nécessaire de signaler que l'absence de financement de l'intervention des pharmaciens en hôpitaux de jour en psychiatrie est un frein au déploiement des actions de bon usage du médicament.
Le pharmacien, un rôle clé pour le repérage
Repérer, conseiller, orienter, soigner, accompagner… face aux tensions majeures en matière d’offres de soins dédiées, l’enjeu est d’élargir la communauté des professionnels de santé susceptibles de contribuer aux parcours de santé et de vie des patients atteints de troubles psychiques et mentaux. Au-delà, d’autres acteurs médicosociaux doivent y être associés, comme les infirmières scolaires, les soignants du monde du travail, les éducateurs et travailleurs sociaux. En première ligne, les pharmaciens d’officine, grâce au maillage territorial, sont souvent les premiers interlocuteurs pour des personnes en souffrance psychique, mais aussi pour leur entourage, en les aidant dans l'accompagnement de leur proche.
« Les pharmaciens d’officine, habitués à l’écoute active, en contact régulier avec les patients, disposent d’un capital de confiance, ce qui peut permettre d’évoquer les premiers symptômes, par exemple des troubles du sommeil, des angoisses ou un sentiment de mal-être », souligne Caroline Wehrlé, conseillère ordinale à la section D(6) de l’Ordre, professeure associée responsable du diplôme universitaire (DU) de micronutrition à l’université de Strasbourg et pharmacienne adjointe d’officine en Alsace. Les espaces de confidentialité sont des lieux propices pour aller plus loin. À défaut d’être formé à ce type d’approche, comme cela est proposé avec la formation Premiers secours en santé mentale (PSSM), le pharmacien pourra être à l’écoute avec bienveillance, sans juger, ni conseiller. Le patient a d’abord besoin de libérer sa parole, avant d’accepter éventuellement des recommandations de prise en charge.
Le réseau Psychiatrie information communication (PIC) pour partager les bonnes pratiques
Né dans le Sud-Ouest en 1993, le réseau PIC est constitué de professionnels exerçant dans des établissements publics et privés de santé mentale, répartis dans toute la France.
Le but est de promouvoir l'information sur les médicaments utilisés en santé mentale, dans une démarche partenariale entre professionnels de santé (pharmaciens, médecins, infirmiers, psychologues) au service du soin destiné au patient. Information des patients et de leur entourage sur le bon usage du médicament, éducation thérapeutique, évaluation des pratiques professionnelles, formation… les missions du PIC sont nombreuses. Il diffuse plusieurs outils de communication, comme des fiches d’information sur les médicaments psychotropes, des vidéos grand public, un guide pratique sur le bon usage des médicaments. Chaque premier mardi du mois, un sujet d’échange est présenté aux adhérents.
Et le réseau organise un colloque tous les deux ans.
En savoir plus :
Des outils à disposition du pharmacien
À l’officine, des outils contribuent à accompagner le patient confronté à des difficultés liées à la santé mentale. Les bilans de prévention, d’abord, proposent deux questionnaires pour repérer les troubles anxieux ou dépressifs. Le pharmacien pourra aussi, à ce moment-là, dispenser des conseils d'hygiène de vie tout en repérant les fragilités. Le Patient Health Questionnaire, quant à lui, consiste à évaluer les réponses à deux questions : le peu d’intérêt ou de plaisir à faire les choses et le sentiment de tristesse, de dépression ou de désespérance. Quatre niveaux de réponse sont possibles, de « jamais » à « presque tous les jours », permettant d’établir un score par rapport à un état de dépression caractérisé.
Sur le même principe, le GAD-2 est un questionnaire visant à détecter un trouble anxieux généralisé, à partir de deux items : le sentiment de nervosité, d’anxiété ou de stress, et l’incapacité à cesser de s’inquiéter. La qualité du sommeil et la présence éventuelle d’addictions pouvant aggraver un état de mal-être sont également des points d’attention à partager avec le patient.
Autre possibilité, la formation aux PSSM. Organisée par l’association PSSM France, elle aide à sensibiliser aux principaux troubles de la santé mentale et à apporter une première réponse aux patients à travers des plans d’action adaptés ; 1 600 secouristes en santé mentale – dont Caroline Wehrlé – ont été ainsi formés la première année en 2020. « Ce furent deux journées intenses, mais accessibles, témoigne-t-elle. J’y ai notamment appris à appliquer une méthode d’action basée sur l’acronyme AÉRER, pour Approcher, Écouter, Réconforter, Encourager, Renseigner. Ces cinq mots sont très utiles pour bien conduire l’échange et pouvoir orienter le patient tout en le motivant à affronter ses difficultés. »
« Former les pharmaciens à la prise en charge des patients en santé mentale »
Pr Florence Thibaut
Responsable du DU psychopharmacologie à l’université Paris-Cité

Le DU de psychopharmacologie, proposé à l’université Paris-Cité, a pour but de renforcer les bases théoriques et cliniques en psycho - pharmacologie, de former au maniement des psychotropes et d’améliorer l’évaluation du rapport bénéfice/risque. Chaque année, nous formons 200 professionnels, dont quelques pharmaciens. Cela peut leur être utile pour actualiser leurs connaissances sur les spécificités de ces médicaments, par exemple sur la demi-vie, la bioéquivalence, les effets indésirables, la qualité de vie du patient ou les règles de pharmacovigilance à respecter. Certains effets secondaires sont mal connus et appellent à une vigilance renforcée. Et il est également important de bien maîtriser le cadre réglementaire adapté qui s’applique pour la prescription et la délivrance de ces produits, les prescriptions hors AMM sont d’ailleurs abordées dans les cours que nous proposons.
D’autres DU sont accessibles aux pharmaciens qui souhaitent s’investir en santé mentale. Le DU de pharmacopsychiatrie, enseigné à Paris-Est-Créteil-Val-de-Marne, vise à améliorer la prise en charge pharmacologique des patients souffrant de troubles psychiatriques. Il propose notamment de s’appuyer sur des éléments fondamentaux et récents de pharmacologie et de pharmaco - génétique en santé mentale.
Ces éléments permettent d’expliquer et d’améliorer la prise en charge des effets indésirables, métaboliques et cardiaques entre autres, afin de guider les professionnels de santé dans la prise en charge pluridisciplinaire de ces patients.
Des situations spécifiques comme la périnatalité, la pédopsychiatrie, la psychiatrie du sujet âgé, la santé des femmes, la psychiatrie en prison… sont aussi abordés. »
Accompagner les patients sous traitement
Anxiété, dépression, troubles de l’humeur, troubles du déficit de l’attention, troubles addictifs, schizophrénie, troubles du spectre autistique… le diagnostic des maladies psychiques et psychiatriques peut être difficile à poser, face à la multiplicité et aux spécificités des pathologies concernées. Leur classification est établie par un ouvrage de référence conçu par l’Association américaine de psychiatrie (APA), le DSM-V, qui dénombre plusieurs centaines de pathologies différentes, au sein de plusieurs grandes familles. Pour les traiter, de nombreux médicaments sont proposés au sein de plusieurs classes thérapeutiques : antidépresseurs, benzodiazépines, antipsychotiques, régulateurs de l’humeur, stimulants. Chacun de ces produits appelle à une surveillance renforcée, avec un rôle clé pour le pharmacien.
« Nous sommes des professionnels de santé en contact régulier avec les patients, explique Caroline Wehrlé. Nous devons systématiquement les interroger sur leur ressenti, les effets indésirables potentiels, le bon usage des médicaments prescrits, la stabilisation de leur pathologie. C’est pour cela qu’il est essentiel de se former, afin d’améliorer notre capacité à prendre en charge ces patients. »
Biologistes médicaux : une expertise clé pour l’équilibre et la santé des patients
Certains traitements délivrés aux patients appellent à des mesures biologiques régulières. « Des médicaments comme le lithium, par exemple, prescrit pour le traitement des troubles bipolaires, sont à marge thérapeutique étroite, illustre Julien Fonsart, vice-président de la section des pharmaciens biologistes médicaux. Le patient doit être inscrit dans une fenêtre de 0,6 à 1,2 mmol par litre de sang, selon qu’il s’agit d’un traitement à libération prolongée ou non. Nous réalisons donc des dosages à intervalles fréquents, pour garantir le bon équilibre thérapeutique du patient et contribuer à identifier les causes des variations. À défaut, sa santé est en jeu, entre l’inefficacité d’une part et la toxicité de l’autre. »
Deuxième mission, les pharmaciens biologistes médicaux sont de plus en plus impliqués dans le cadre de traitements récents et très innovants, mais qui, là encore, appellent à une surveillance biologique constante des patients ainsi qu’à la recherche de potentiels biomarqueurs de leur efficacité. « Enfin, nous avons un rôle majeur pour prévenir et détecter les effets secondaires ou des risques iatrogènes, qui sont nombreux pour ces classes thérapeutiques (exemple du risque d’agranulocytose mortelle sous clozapine). De plus, le biologiste médical réalise très souvent un bilan biologique complet du patient avant sa mise sous traitement. »
« Favoriser le bon usage »
Dr Philippe Vella
Directeur médical à l’ANSM (7)

« Nous sommes très attentifs au bon usage des benzodiazépines dispensés dans le cadre d’anxiété ou d’insomnie. Ils sont massivement consommés en France avec, en 2024, 9 millions de patients traités par des hypnotiques et des anxiolytiques, ce qui nous situe en deuxième position en Europe. Ils exposent à divers risques connus, en particulier en cas de consommation prolongée, en matière de tolérance, d’addiction, de troubles de la mémoire, de somnolence, de chute et de conduite de véhicules.
Les jeunes adultes et les personnes âgées y sont fortement exposés, avec des moyennes de consommation élevées.
Afin de mieux maîtriser le bon usage des benzodiazépines, à notre demande, les industriels ont mis en place des conditionnements de courte durée, avec cinq à sept comprimés maximums. Le but est d’éviter le mésusage lié à des consommations prolongées, mais également aux comprimés qui resteraient dans les armoires à pharmacie.
Nous comptons sur les médecins et les pharmaciens pour prescrire ces médicaments sur de courtes durées, utiliser ces nouveaux conditionnements et rappeler les risques de ces médicaments et les règles de bon usage au moment de la prescription ou de la délivrance. Par ailleurs, nous engageons une réflexion pour envisager de faire figurer des mentions d’alerte sur les boîtes de médicament, à l’instar de ce qui est fait aujourd’hui pour le paracétamol, par exemple. Enfin, depuis le 10 avril, nous avons lancé une vaste campagne de sensibilisation, à destination du grand public et des professionnels de santé, sur le bon usage des benzodiazépines. C’est le deuxième volet de la campagne que nous menons depuis 2023 sur le bon usage du médicament. »
Favoriser la collaboration interprofessionnelle
Aujourd’hui, le suivi des patients atteints de pathologies mentales doit se concevoir à l’échelle pluriprofessionnelle. Le pharmacien doit être en mesure de pouvoir contacter le médecin généraliste ou le psychiatre, pour l’alerter sur la situation du patient, échanger sur les traitements délivrés et les éventuels risques de mésusage ou de iatrogénie, suggérer une nouvelle consultation ou évoquer également l’impact psychosocial de la maladie pour le patient et son entourage.
Les liens avec les laboratoires de biologie sont aussi clés, notamment parce que les examens de biologie médicale sont de plus en plus utilisés pour évaluer les effets métaboliques des traitements et suivre la situation pathologique du patient.
Avec les établissements hospitaliers, l’enjeu est de coordonner la prise en charge, par exemple à l’entrée et la sortie de périodes d’hospitalisation, avec une attention particulière à exercer en matière de conciliation médicamenteuse.
Enfin, il peut être utile d’orienter le patient vers des psychologues, appelés à jouer un rôle croissant. Depuis deux ans, le dispositif « Mon Soutien Psy », récemment renforcé par les pouvoirs publics, offre la possibilité aux patients atteints de troubles légers à modérés d’accéder jusqu’à 12 séances de psychologie par an, remboursées à 60 % par l’Assurance maladie.
« Le pharmacien, un acteur de proximité essentiel »
Angèle Malatre-Lansac
Déléguée générale de l’Alliance pour la santé mentale

« À travers la Grande cause que nous portons, nous souhaitons aborder le thème de la santé mentale au-delà du seul champ de la psychiatrie. C’est un sujet de société prioritaire, qui exige d’interpeller l’ensemble de l’opinion publique, pour changer le regard sur les troubles psychiques et les personnes qui en souffrent, développer une culture de la prévention et favoriser la détection et l’orientation précoce des personnes qui le nécessitent.
À ce titre, l’ensemble des professionnels de santé ont un rôle majeur à jouer. Et les pharmaciens, parce qu’ils sont acteurs de confiance et de première ligne sur les enjeux de santé, peuvent être des acteurs clés au service de la prévention et de l’accompagnement. Il faut, par exemple, développer leur connaissance du sujet et des ressources locales en santé mentale à travers les formations en premiers secours en santé mentale. Les pharmaciens pourraient être le fer de lance de cette démarche.
Ils ont également une position idéale pour apporter une première information et des ressources, guider dans les parcours de soins et orienter. Enfin, leur expertise dans la gestion des traitements doit être sans cesse renforcée. »
Médicaments à dispensation particulière
Ce qu’il faut savoir
Classés dans la catégorie des substances vénéneuses, les hypnotiques et anxiolytiques obéissent à des règles strictes en matière de prescription, de délivrance, d’inscription dans des registres et, le cas échéant, de mentions sur les boîtes de médicament. Comme le rappelle très clairement le site Meddispar de l’Ordre, ces médicaments ne doivent en aucun cas être accessibles directement au public. Les durées de prescription sont également encadrées : 4 semaines pour les hypnotiques avec l’indication « sommeil » dans l’AMM (sauf exception, comme pour le daridorexant®), 12 semaines pour les anxiolytiques. Certains médicaments hypnotiques ou anxiolytiques peuvent par ailleurs être soumis en partie à la réglementation des médicaments stupéfiants (dits « assimilés stupéfiants »). Leurs modalités de prescription ou de délivrance sont alors spécifiques.
Les règles de délivrance
En ce qui concerne la délivrance, la première s’effectue sur présentation
d’une ordonnance datant de moins de trois mois. La quantité de médicaments délivrée en une seule fois ne peut excéder 4 semaines ou un mois de 30 jours selon le conditionnement disponible. Le renouvellement éventuel de la délivrance ne peut avoir lieu qu'après un délai déterminé résultant de la posologie et des quantités précédemment délivrées. L’ordonnance devient caduque un an après sa date d’établissement. Aucune procédure exceptionnelle n’est possible. Après exécution, les mentions suivantes sont apposées sur l’ordonnance : le timbre de l’officine, le ou les numéros d’enregistrement à l’ordonnancier, la date d’exécution, le nom de la spécialité et la quantité délivrées. Ces mentions doivent aussi être apposées sur l’ordonnance lors d’un renouvellement. Enfin, la délivrance des médicaments hypnotiques et anxiolytiques est consignée dans le registre des médicaments classés liste I, II ou stupéfiants (hors préparations) de l’officine.
En savoir plus :
R&D, fabrication et distribution : des spécialités sous surveillance
Le champ thérapeutique des pathologies mentales, reposant longtemps sur des traitements anciens et peu spécifiques, bénéficie ces dernières années d’un renouveau de l’innovation. « Grâce à une meilleure connaissance des circuits neuronaux et au développement de la psychiatrie de précision, de nouvelles approches émergent, avec un réel dynamisme de la recherche clinique, illustre Caroline Tournier, pharmacien aux Affaires médicales au sein d'un laboratoire pharmaceutique. Les pharmaciens industriels sont au cœur de ces travaux, notamment pour contribuer à la construction des essais cliniques et à la pharmacovigilance. Nous sommes également très investis dans la recherche de formes galéniques adaptées à cette population où l’observance est souvent problématique (formes injectables à action prolongée), ou nécessitant une action rapide (spray nasal). »
Du côté de la distribution, Jean Brevilliers, élu de la section C(8), évoque certaines spécificités liées à la nature de ces produits : « Sur les conditions de stockage et de répartition, il n’y a pas de réelles différences avec les autres médicaments, si ce n’est que beaucoup sont génériques. En revanche, nous surveillons de près l’état des commandes à l’officine, car certains de ces produits, comme le Rivotril®, peuvent faire l’objet de trafics illégaux. » Le rôle du pharmacien responsable (PR) est alors de vérifier avec l’officine des variations potentiellement anormales des volumes demandés. « Nous avons récemment été confrontés dans ma région aux tentatives de détournement de prégabaline, un produit utilisé comme antiépileptique, anxiolytique et antalgique, pour lequel une alerte a été formulée auprès des autorités. » Autre enjeu pour les PR de la distribution : contribuer à la lutte contre les ruptures, comme celles enregistrées sur la quétiapine, en veillant à la juste répartition des doses disponibles.
Mot d’Ordre
Carine Wolf-Thal
Présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens

« Face à l’ampleur des souffrances psychiques et psychologiques qui touchent une part croissante des Français, le thème de la santé mentale est l’affaire de tous. L’Ordre salue la décision d’en faire la Grande cause nationale 2025. Nous partageons pleinement les priorités d’action posées par ses promoteurs. Il faut, tout à la fois, améliorer le parcours de soins des patients, développer les actions de prévention, contribuer à lutter contre l’isolement et la stigmatisation, soutenir la recherche pour la mise au point de traitements innovants.
Au comptoir de l’officine, mais aussi dans les établissements de soins, dans les laboratoires de biologie médicale et au cœur des laboratoires pharmaceutiques et des établissements de la distribution en gros, chaque pharmacien participe, à sa façon, à la quête de bien-être de la population. Nous devons nous mobiliser pour agir encore davantage, aux côtés de l’ensemble de la société. »
(1) « Parlons santé mentale ! », info.gouv.fr, mars 2025.
(2) « La politique de prévention du suicide », sante.gouv.fr, août 2024.
(3) Étude sur l’espérance de vie et la mortalité des personnes suivies pour troubles psychiques sévères, Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes), 2018.
(4) Données de l’Assurance maladie pour 2021. Coût total des maladies psychiatriques et de l’ensemble des traitements psychotropes.
(5) Rapport n° 2018-005R, Inspection générale des affaires sociales (Igas), 2018.
(6) Représentant les pharmaciens adjoints d’officine et autres exercices.
(7) Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
(8) Représentant les pharmaciens de la distribution en gros.
(9) Commission médicale d’établissement.
(10) Représentant les pharmaciens des établissements de santé ou médicosociaux et des services d’incendie et de secours.