Dans un contexte marqué par des évolutions profondes de l’offre de soins en France, des craintes ont pu s’exprimer sur une “financiarisation” progressive de la santé. L’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF) ont publié un rapport évaluant ses causes, ses mécanismes et ses conséquences. Deux mois après le rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la financiarisation des soins ambulatoires, celui de l’Igas et de l’IGF recommande une évolution du système réglementaire et tarifaire, notamment vers plus de transparence, de réactivité et de prévisibilité.

Lutter contre les dérives de la financiarisation

Après avoir constaté les évolutions des caractéristiques et de l’organisation de l’offre de santé en France et relevé les risques inhérents à ces mutations, la mission Igas - IGF propose cinq leviers d’action :

  • clarifier le cadre de gouvernance des sociétés d’exercice libéral et moderniser le cadre déontologique ;
  • mieux connaître les coûts réels des acteurs, améliorer la réactivité et la prévisibilité du système de tarification ;
  • déployer un dispositif de suivi de la qualité en médecine de ville ;
  • développer des approches contractuelles avec les groupes pour tirer parti de leur couverture multi sites et de leurs capacités d’investissement ;
  • prendre en compte l’existence d’acteurs portant un risque systémique local ou national et mettre en place les dispositifs de prévention adéquats.

Une action articulée autour de quinze propositions

1.   Étendre le périmètre du contrôle de l’Ordre professionnel à toutes les pièces constitutives de l’organisation de la société d'exercice libéral (SEL), à la fois en ce qui concerne le périmètre des pièces opposables et le délai de réponse laissé à l’Ordre.

2.   Définir une doctrine d’usage pour définir les conditions de fonctionnement des SEL, et plus spécifiquement les dispositions permettant d’encadrer les droits des minoritaires et des majoritaires.

3.   Compléter et préciser les conditions d’application du principe d’indépendance des professionnels de santé aux différents modes d’exercice (salariat, contrat d’exercice libéral, exercice au sein d’une SEL...).

4.   Créer un statut ad hoc pour les centres de santé qui remplace le statut associatif, pour une gouvernance plus transparente et une organisation juridique et financière plus simple à auditer.

5.   Prendre le décret d’application prévu pour élargir les coûts financés par les forfaits techniques versés aux radiologues par l’Assurance maladie, et étendre ce dispositif aux autres secteurs concernés par une nomenclature technique.

6.   Améliorer la réactivité et la pertinence du dispositif de maintenance de la nomenclature de classification commune des actes médicaux (CCAM).

7.   Étendre à la radiologie et à l’hospitalisation la pluri-annualité de la politique tarifaire et assurer sa bonne articulation avec une évolution différenciée des tarifs, sur la base des études de coûts et des priorités de santé publique.

8.   Dans le système d’information de l’Assurance Maladie : donner une immatriculation à l’ensemble des SEL et rattacher chacune aux médecins qui y pratiquent ; rattacher chaque facturation à la fois au professionnel de santé qui a réalisé l’acte et à la SEL à laquelle il appartient ; pour les centres de santé, identifier le professionnel qui réalise l’acte ; pour les cliniques, rattacher les numéro FINESS des établissements à l’entité juridique siège du groupe.

9.   Mettre en place un registre déclaratif obligeant toute société à déclarer ses participations à un niveau significatif, dans une ou plusieurs SEL.

10. Généraliser les enquêtes de satisfaction auprès des patients de ville sur la base de référentiels validés par la Haute Autorité de Santé (HAS).

11. Déployer un programme annuel d’évaluation sur un échantillon aléatoire de professionnels, en s’appuyant sur la démarche expérimentale des groupes de pairs ; faire valider à la HAS le contenu du dossier patient ainsi que les indicateurs de suivi et leur donner une base légale.

12. Prendre en compte les groupes dans la démarche conventionnelle de fixation des tarifs et des contreparties demandées, lorsqu’ils représentent une part significative de l’offre de soins.

13. Conditionner la délivrance d’autorisation au respect d‘objectifs quantifiés de santé publique ou de structuration de l’offre de soins, aux niveaux national et régional.

14. Identifier aux niveaux national et régional les entités critiques pour l’accès aux soins dont la disparition aurait un effet systémique ;

15. Pour tous les acteurs identifiés comme systémiques, rendre obligatoire de préparer et de déposer auprès de l’autorité de tutelle un plan présentant les conséquences opérationnelles et les conditions de gestion des activités critiques en cas de défaut au niveau du groupe.

Soins ambulatoires, l’alerte de l’OCDE

En mai 2025, l’OCDE a publié un rapport (en anglais) sur les tendances de financiarisation dans le secteur des soins ambulatoires. Ce document met en lumière une transformation du paysage des soins de santé, avec une implication croissante d'acteurs financiers (fonds d'investissement, sociétés de capital-investissement) dans la propriété et la gestion des prestataires de soins ambulatoires. Cette financiarisation soulève des questions importantes concernant l'accès, la qualité et l'équité des soins.

Bien que l'OCDE déplore le manque de données exhaustives sur le sujet de la financiarisation, elle expose ses réserves fondées sur des exemples tirés de différents pays membres et de divers secteurs de la santé déjà touchés par ces dynamiques.

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