« Je m’appuie sur les antibiogrammes ciblés pour lutter contre l’antibiorésistance »

Dans ce cinquième volet des entretiens « Le bon geste », le Dr Gisèle Gay, biologiste médicale et membre du Conseil central de la section G de l’Ordre national des pharmaciens (représentant les pharmaciens biologistes médicaux), partage son expertise sur la lutte contre l’antibiorésistance. Associée depuis 2001 au sein d’un laboratoire qui regroupe 70 sites de prélèvements dans les Bouches-du-Rhône et le Var, ainsi qu’un plateau technique centralisé à Marseille, elle s'investit activement dans la prévention des résistances en optimisant l’interprétation et la restitution des antibiogrammes. Son action inclut également des recommandations adaptées aux prescripteurs et la participation à des réseaux de surveillance épidémiologique.
Quelles sont les actions mises en place au sein de votre laboratoire ?
L’un des axes stratégiques majeurs en bactériologie consiste à fournir des antibiogrammes ciblés. C’est un outil clé pour nous, biologistes ! Il permet d'évaluer la sensibilité d’une bactérie que l’on a isolée à une sélection d’antibiotiques précisément choisis. L’objectif est triple :
- utiliser des antibiotiques pertinents en fonction du type d'infection suspectée (par exemple, une cystite ou une pyélonéphrite) ;
- respecter les recommandations des agences et sociétés savantes (Haute Autorité de santé, Comité de l’antibiogramme de la Société française de microbiologie, European Committee on Antimicrobial Susceptibility Testing...) afin de préserver l'efficacité des molécules de dernier recours ;
- privilégier des antibiotiques ciblant spécifiquement la bactérie en cause.
On réduit ainsi le recours à des molécules à large spectre, responsables d’un déséquilibre du microbiote et d’une sélection accrue de germes résistants.
Pourquoi cette démarche est-elle essentielle ?
L'antibiorésistance constitue une priorité sanitaire. Chaque année, en France, on recense environ 130 000 infections dues à des bactéries multirésistantes, entraînant près de 5 500 décès. Les biologistes médicaux jouent un rôle central dans la rationalisation de l’usage des antibiotiques et la diffusion des bonnes pratiques thérapeutiques.
Mais l’antibiorésistance ne concerne pas uniquement la santé humaine. Elle concerne également la santé animale et la santé des écosystèmes. Lutter contre l’antibiorésistance est une démarche à la fois sanitaire et écologique, car elle permet de préserver la planète autant que notre santé.
Concrètement, comment cela se passe sur le terrain ?
Dans la pratique quotidienne, notre implication ne se limite pas à la transmission de résultats bruts. Notre approche intègre une dimension pédagogique et une interaction constante avec les prescripteurs. Ainsi, sur les 20 testés, seuls quelques antibiotiques pertinents sont systématiquement communiqués, permettant au médecin de sélectionner une molécule appropriée, sans recourir aux traitements les plus agressifs dès la première intention.
Par ailleurs, chaque compte rendu d’analyse est accompagné de recommandations thérapeutiques circonstanciées. Par exemple, pour les diarrhées d’origine bactérienne, il est rappelé que l’utilisation d'antibiotiques est souvent inappropriée. Ces indications concernent aussi la posologie et la durée optimale des traitements, certaines antibiothérapies pouvant être réduites de sept à cinq jours, selon les dernières recommandations.
En parallèle, des sessions de formation régulières sont organisées à destination des prescripteurs. Elles visent à expliquer les raisons de ces préconisations, leur impact sur l’écosystème bactérien et les conséquences d’une surprescription d’antibiotiques.
Quels défis avez-vous eu à relever dans la mise en place de cette démarche ?
Mettre en place une stratégie efficace de rendu des antibiogrammes nécessite, pour le laboratoire, un travail rigoureux d’harmonisation des protocoles, avec un suivi régulier et des paramétrages informatiques spécifiques. L'objectif est d'assurer une restitution homogène des résultats et d’actualiser les recommandations en fonction des dernières évolutions scientifiques.
De plus, notre laboratoire comme beaucoup d’autres – qu’ils soient privés ou hospitaliers – s'engage activement dans la surveillance épidémiologique en transmettant ses données à des réseaux dédiés. Cette collaboration permet d’évaluer les tendances régionales de l’antibiorésistance et d’adapter les stratégies thérapeutiques en conséquence.
Quel conseil donneriez-vous à un confrère qui voudrait faire un geste pour la transition écologique ?
Il faut être pédagogue et convaincant ! L’éducation des patients constitue un levier majeur pour limiter la surconsommation antibiotique. Il est essentiel de leur faire comprendre que ces traitements, bien que fondamentaux, doivent être réservés à des indications précises et ne pas être utilisés de manière abusive.
Par ailleurs, il est crucial d’informer les médecins afin qu’ils puissent résister aux attentes infondées de certains patients persuadés que les antibiotiques représentent une solution à tous leurs problèmes. En responsabilisant l’ensemble des acteurs de la chaîne de soins (biologistes médicaux, pharmaciens d’officine, prescripteurs et patients), il serait possible de freiner l’expansion de l’antibiorésistance et de préserver l’efficacité des traitements disponibles.