Cahier thématique n°20 - Lutte contre l’antibiorésistance, tous engagés
01. DES ANTIBIOTIQUES A L'ANTIBIORESISTANCE
L’antibiorésistance, qu’est-ce que c’est ?
13/07/2022
L’antibiorésistance, c’est une diminution ou une absence de sensibilité des bactéries à l’action des antibiotiques. Une bactérie peut être naturellement résistante ou échapper à l’action d’un antibiotique, parce qu’elle a développé un processus de défense.
La résistance naturelle des bactéries
Certaines bactéries possèdent, de façon innée, des mécanismes qui les rendent insensibles à l’action d’un antibiotique, comme Serratia marcescens, naturellement résistante à la colistine. Les mécanismes de résistance aux antibiotiques sont inscrits dans le génome de la bactérie et peuvent s’exprimer de différentes façons : imperméabilité de la membrane bactérienne, mécanisme d’efflux (extraction de l’antibiotique à l’extérieur de la membrane bactérienne), inactivation par des enzymes, modification ou substitution de la cible de l’antibiotique. Certaines molécules adjuvantes des antibiotiques peuvent leur permettre de surmonter cette résistance naturelle : l’acide clavulanique, par exemple, inhibe les bêta-lactamases produites par certaines bactéries, les rendant sensibles à l’action de l’amoxicilline.
La résistance acquise des bactéries
Sous l’effet du stress, induit par l’action d’une molécule antibiotique, une bactérie habituellement sensible peut s’adapter de deux manières.
-> Par mutation génétique
Des modifications spontanées d’un ou de plusieurs gènes, liés au chromosome bactérien, peuvent entraîner l’apparition d’un mécanisme de défense parmi ceux cités précédemment, et une réduction de la sensibilité à l’antibiotique (augmentation de la concentration minimale inhibitrice (Plus petite concentration d’antibiotique qui inhibe toute culture macroscopiquement visible d’une souche bactérienne, après incubation de 18 heures à 37 °C (la CMI se réfère à l’effet bactériostatique d’un antibiotique) – définition de l’Académie de médecine.) ou CMI), voire une résistance complète. La survenue d’une mutation est un phénomène relativement rare, mais l’usage inapproprié d’antibiotiques conduit à une sélection des souches résistantes. Ainsi, dans un microbiote soumis à l’action d’un antibiotique (par exemple, au niveau de la flore intestinale), les bactéries habituellement sensibles seront éliminées, alors que celles qui ont subi une mutation deviendront prédominantes.
-> Par acquisition de gènes de résistance, encore appelée résistance extrachromosomique
On estime qu’il s’agit du principal processus d’évolution rapide des bactéries, impliqué dans la survenue d’environ 80 % des résistances. Il est lié à un transfert entre bactéries de matériel génétique mobile porteur de gènes de résistance (plasmides, transposons et intégrons) :
. les plasmides : ces éléments se répliquent au sein de la cellule-hôte et peuvent donner aux espèces qui les hébergent de nouveaux caractères de résistance. En effet, ils contiennent un fragment d’ADN circulaire double brin, distinct du chromosome et capable de réplication autonome. La transmission des plasmides de résistance d’une bactérie à l’autre s’effectue généralement par conjugaison (Mode de transfert d’information génétique (ADN chromosomique ou plasmidique) d’une bactérie à l’autre (source : www.uvp5.univ- paris5.fr/Microbes/). Cette transmission se fait souvent sans spécificité d’hôte : d’où une diffusion possible de la résistance entre espèces bactériennes différentes ;
. les transposons : appelés encore « gènes sauteurs », les transposons sont des séquences d’ADN double brin, capables de changer de localisation dans le génome d’une même bactérie et provoquant sa mutation, sans jamais apparaître à l’état libre. Ils peuvent modifier aussi bien la structure du chromosome bactérien que celle de l’ADN plasmidique. Un ou plusieurs transposons, codant des mécanismes de résistance aux antibiotiques, peuvent également s’insérer dans un plasmide et être ainsi transférés à d’autres bactéries ;
. les intégrons : ces éléments génétiques sont exclusivement présents chez les bactéries. Incapables d’autoréplication, les intégrons doivent obligatoirement s’insérer dans un élément d’ADN réplicatif (plasmide ou chromosome). Ils constituent un système de réponse à un stress environnemental et expliquent la rapidité d’acquisition de résistance des bactéries aux antibiotiques, mais aussi aux biocides. Agissant en lien avec les transposons, les intégrons sont en grande partie responsables de l’aptitude des bactéries à résister pratiquement à toutes les classes d’antibiotiques sur un mode épidémique.
Un seul monde, une seule santé : le concept « One Health »
L’aptitude à la résistance des bactéries, amplifiée par leur capacité de transmission unique dans le monde animal, est une réaction à l’action des antibiotiques.
Néanmoins, l’apparition de résistances, souvent multiples pour une même espèce, n’est pas uniquement liée aux traitements antibiotiques en santé humaine. Leur utilisation chez les animaux d’élevage et de compagnie joue également un rôle important, de même que leur dispersion dans l’environnement par les effluents urbains, agricoles et industriels. Enfin, la transmission des bactéries résistantes et de leurs gènes de résistance d’un milieu à un autre est un facteur aggravant supplémentaire. Il est donc essentiel que la lutte contre l’antibiorésistance prenne en compte l’interdépendance de la santé humaine, de la santé animale et de l’environnement (milieux aquatiques, sols, plantes, faune sauvage). C’est la raison pour laquelle l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), suivie par les organisations internationales, préconise une vision globale de la lutte contre l’antibiorésistance « One World, One Health » (Un seul monde, une seule santé).
Les évaluations les plus récentes du nombre de décès directement imputables à la résistance bactérienne à travers le monde font état de 1,27 million de morts par an (Murray CJL et al. Global burden of bacterial antimicrobial resistance in 2019: a systematic analysis. Lancet 2022 ; 399 : 629-55.) Les projections à 2050 estiment que l’on pourrait atteindre 10 millions de morts par an (O’Neill J. Tackling drug-resistant infections globally : final report and recommendations. London : Review on Antimicrobial Resistance, 2016.), la résistance aux antimicrobiens devenant alors un fléau mondial largement plus létal que le paludisme ou le sida.
Au-delà des conséquences sur la mortalité, l’antibiorésistance est aussi responsable d’une augmentation de la morbidité, avec des maladies plus longues et plus difficiles à soigner, et un risque accru de complications qui ont un impact direct sur la qualité de vie des patients. Enfin, à ces conséquences sanitaires majeures s’ajoute le coût financier des soins pour la société.