En France, une stratégie et deux piliers de lutte contre l’antibiorésistance

Début 2022, le ministère des Solidarités et de la Santé a publié le détail des actions à déployer dans le document intitulé « Stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de 
l’antibiorésistance ». En santé humaine, cette stratégie repose de manière indissociable sur deux piliers : la prévention et le contrôle des infections (PCI), d’une part, et sur le bon usage des antibiotiques (BUA), d’autre part.

-> Prévention et contrôle des infections

Pour l’élaboration du volet « Prévention et contrôle des infections » du programme national en santé humaine, le ministère avait saisi, en mars 2021, 
la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) et un premier groupe de travail a été constitué afin de produire des recommandations.

-> Bon usage des antibiotiques

Sur le même principe que la prévention et le contrôle des infections, le Conseil national professionnel d’infectiologie-maladies infectieuses et tropicales (CNP-MIT) (35) a été chargé de piloter la réflexion concernant le bon usage des antibiotiques. Le groupe de travail, sur lequel s’est appuyé le CNP-MIT pour rendre ses avis, comprenait également des membres de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) et des organismes représentatifs des professionnels concernés. L’Ordre national des pharmaciens a donc participé dans ses trois composantes, directement impliquées dans le bon usage des antibiotiques : la biologie médicale, la pharmacie hospitalière et officinale.

(35) Le CNP-MIT regroupe quatre associations fondatrices : le Collège des universitaires de maladies Infectieuses et tropicales (CMIT), la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF), le Syndicat national des médecins infectiologues (SNMInf) et la sous-section « Maladies infectieuses et maladies tropicales » du Conseil national des universités (CNU).

Le RéPias, pierre angulaire de la surveillance

Les deux groupes de travail, PCI et BUA, se sont nourris des travaux effectués antérieurement, au sein du Réseau de prévention des infections associées aux soins et de l’antibiorésistance (RéPias). Mis en place par le ministère en 2015 et coordonné par Santé publique France, le RéPias assure cinq missions nationales.

Ces missions, dont les PRIMO (36) et SPARES (37), ont notamment pour objectif de produire des données de surveillance des infections associées aux soins en ville, en secteur médicosocial et en établissements de santé, des données de consommation des antibiotiques et de résistance des bactéries aux antibiotiques, ainsi que d’apporter du soutien aux actions de prévention.

Les résultats de la plupart des investigations réalisées par ces missions sur les résistances bactériennes et les consommations d’antibiotiques sont en accès libre, sur le site Géodes (38) (avec possibilité de recherche par région) de Santé publique France, et des articles de synthèse sont régulièrement publiés dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH). 

Par ailleurs, le RéPias possède son propre site web (preventioninfection.fr). Il est possible de s’abonner gratuitement à une newsletter qui donne, en continu, des informations sur l’avancement des différentes missions.

(36) Surveillance et prévention de la résistance aux antibiotiques et des infections associées aux soins en soins de ville et en secteur médicosocial.(37) Surveillance et prévention de l’antibiorésistance en établissements de santé.
(38) https://geodes.santepubliquefrance.fr

La coordination interministérielle au service d’une seule santé

Dans la perspective « Une seule santé », un comité interministériel, piloté par la professeure Céline Pulcini, assure, depuis la fin de 2016, cette coordination entre les cinq domaines concernés : santé, environnement, éducation, enseignement supérieur et recherche, agriculture et agroalimentaire. Ceci en cohérence avec le Plan d’action mondial pour combattre la résistance aux antimicrobiens de l’OMS (janvier 2016) et le plan d’action « Une seule santé » de l’UE contre l’antibiorésistance (juin 2017). De nombreuses actions ont déjà été déployées en synergie dans le cadre de la feuille de route du comité interministériel et un bilan est publié chaque année (39).

(39) Bilan des actions menées en santé humaine dans le cadre de la feuille de route interministérielle pour la maîtrise de l’antibiorésistance et du Propias. Ministère des Solidarités et de la Santé – Mars 2022. (40) Semaine mondiale pour un bon usage des antibiotiques : tous mobilisés. Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation – 18 novembre 2021.

Sortir de l’étiquette « hygiène » pour une PCI au sens large

Loïc Simon,
pharmacien biologiste au CHU de Nancy, administrateur de la SF2H, responsable du CPias Grand Est et de la mission nationale SPARES

loic simon

L’approche de la SF2H s’est considérablement élargie en quarante ans d’existence : de la promotion de l’hygiène à l’hôpital, on est passé à l’évaluation et la prévention des risques infectieux, impliquant l’ensemble des professionnels exerçant dans tous les types d’établissements de soins, avec une approche qui s’étend désormais aussi vers le grand public. 
Les actions du plan national s’inscrivent parfaitement dans cette vision transversale. Il est également intéressant que l’on se soit fixé des objectifs sur un terme assez court, pour évaluer plus rapidement et concrètement les pistes de progrès.

La contribution de l’Ordre à la stratégie nationale

Jérémy Bayette,
pharmacien biologiste médical à Montpellier, conseiller ordinal de la section G (représentant les pharmaciens biologistes médicaux) et membre du groupe de travail BUA

Jeremy Bayette

Au fil de la progression des travaux, les différents représentants de l’Ordre ont pu affiner leurs avis en 
les confrontant à ceux des membres de leurs conseils centraux respectifs, représentant les différents métiers 
de la pharmacie. Pour les biologistes médicaux, deux propositions fortes ont ainsi été reprises dans la stratégie nationale : la généralisation des antibiogrammes ciblés, avec l’intégration des recommandations de la HAS dans les logiciels métiers, et le déploiement des nouveaux tests diagnostiques PCR multiplex.

Le maillage territorial des structures opérationnelles

Les agences régionales de santé (ARS) sont chargées de mobiliser l’ensemble des professionnels impliqués au niveau régional, à travers deux structures agissant en synergie :

  • les centres d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) qui, sur le volet PCI, ont un rôle d’expertise et d’animation des réseaux de professionnels : équipes opérationnelles d’hygiène (EOH), équipes mobiles d’hygiène (EMH)… ;
  • les centres régionaux en antibiothérapie (CRAtb), qui remplissent des missions similaires pour la mise en œuvre des actions de BUA avec, notamment, les équipes multidisciplinaires en antibiothérapie (EMA), les référents en antibiothérapie en établissements de santé et le réseau des médecins généralistes formés en antibiothérapie.

L’Ordre national des pharmaciens et le bon usage des antibiotiques de médecine vétérinaire

En santé animale, une baisse continue des ventes d’antibiotiques a été obtenue depuis 2007, notamment sous l’impulsion des plans successifs Écoantibio I et II. 
La France se place ainsi en troisième position au niveau européen, en matière de pourcentage de réduction 
de leur utilisation en médecine vétérinaire (40).

Toutefois, cette diminution est principalement due aux efforts des vétérinaires et des professionnels des différentes filières de production. Pour étendre cette action aux antibiotiques délivrés en officine, une mesure du plan Écoantibio I prévoit que les pharmaciens soient davantage sensibilisés à l’examen des ordonnances vétérinaires, afin qu’ils puissent faire preuve de la même expertise que pour les ordonnances de santé humaine. C’est dans ce contexte que le Conseil central de la section A a élaboré, en collaboration avec la Direction générale de la santé (DGS) et la Direction générale de l’alimentation (DGAL), des fiches pratiques, mises à disposition de l’ensemble des officinaux sur le site de l’Ordre.

En savoir +

ordre.pharmacien.fr > Communications > Publications ordinales > Fiches pratiques pharmacie vétérinaire

Stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l’antibiorésistance

Des actions qui impliquent les pharmaciens

Le ministère a détaillé les principales mesures du plan national 2022-2025 (43), présentées dans une brochure synthétique.
Voici une liste non exhaustive d’actions pouvant être pertinentes pour les pharmaciens

Développer la formation continue : l’Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) a lancé un appel d’offres à destination des professionnels de premier recours, dont les pharmaciens d’officine (participer au bon usage des antibiotiques à travers leur fonction de délivrance et de conseil) et les biologistes médicaux (réaliser et interpréter les examens biologiques afin de dispenser le conseil de prescription antibiotique le plus adapté). (44)

Encourager la vaccination : 
en particulier, renforcer l’adhésion à la vaccination antigrippale des personnes cibles.

Favoriser et promouvoir l’utilisation des antibiogrammes ciblés en intégrant les recommandations de bonnes pratiques dans les logiciels métiers.

Encourager le recours aux tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) angine en officine, conformément aux recommandations professionnelles.

Développer des indicateurs de délivrance des antibiotiques, s’intégrant dans la volonté de promouvoir l’interprofessionnalité, notamment entre prescripteurs et pharmaciens d’officine en ville et en Ehpad. Cette réflexion sera menée au sein d’un groupe de travail intégrant les parties prenantes.

Réduire la pollution environnementale : encourager le retour des antibiotiques non utilisés par les patients en pharmacie et leur élimination grâce à l’éco-organisme Cyclamed.

(43) Quelques mesures du plan d’action national français « Une seule santé » de lutte contre l’antibiorésistance. Ministère des Solidarités et de la Santé – 3 mars 2022. 
(44) L’ANDPC, l’ANFH et l’OPCO santé engagés en soutien à la maîtrise de l’antibiorésistance à travers des appels d’offres. ANDPC – 9 février 2022.

Regard d'experts

Céline Pulcini,
professeure de maladies infectieuses et tropicales, cheffe de la mission ministérielle « Prévention des infections et de l’antibiorésistance » au ministère des Solidarités et de la Santé

Céline Pulcini,

La stratégie nationale de lutte contre l’antibiorésistance 2022-2025 se substitue au programme national d’action de prévention des infections associées aux soins (Propias), lancé en 2015, mais je tiens à rappeler que cette stratégie a été bâtie sur l’existant. Plusieurs plans nationaux se sont succédé à partir de 2001. Puis, en 2016, l’élaboration de la feuille de route interministérielle a marqué une intensification des actions de maîtrise de l’antibiorésistance et, pour la première fois, leur intégration dans une perspective plus large : “Une seule santé”. La stratégie 2022-2025 est la déclinaison opérationnelle de cette feuille de route. Le choix du titre n’est pas anodin : il met l’accent sur la prévention et le contrôle des infections, indissociables du bon usage des antibiotiques. De plus, une attention spéciale est, cette fois, portée aux infections virales : s’il est essentiel de prévenir les infections bactériennes et de n’utiliser les antibiotiques que de façon adaptée, il est également important de se prémunir, en particulier par la vaccination, des infections virales, causes fréquentes d’antibiothérapies inutiles ou de surinfections bactériennes évitables.

Neuf axes de progrès structurent la stratégie 2022-2025, avec 43 indicateurs de performance, qui quantifient les objectifs poursuivis. En effet, rien ne sert d’identifier des actions à réaliser prioritairement, si on ne peut pas en suivre la traduction en résultats concrets sur le terrain. Par exemple, la vaccination antigrippale des professionnels de santé en ville : en visant un taux de couverture supérieur à 80 % d’ici à 2025, nous nous fixons une ambition réaliste, pour une mesure assez simple à mettre en œuvre.

L’objectif stratégique numéro un est de sensibiliser à l’antibiorésistance, à la fois les professionnels de santé et le grand public. Sur la base de plusieurs études préalables destinées à mieux définir les cibles et les messages visant à modifier les comportements, Santé publique France lancera prochainement une campagne de communication nationale sur le bon usage des antibiotiques. Elle s’appuiera notamment sur les plateformes Antibioclic (41), outil d’aide à la décision thérapeutique pour les professionnels de santé, et Antibio’Malin (42), espace d’information en ligne accessible à tous. Cette campagne s’inscrit dans la durée et illustre l’indispensable synergie qui doit exister entre tous. À titre personnel, j’ai eu très souvent l’occasion de travailler avec des pharmaciens, que ce soit dans mes fonctions hospitalo-universitaires ou ministérielles ; je sais quelle est leur aptitude à communiquer et à apporter leur expertise à leurs différents interlocuteurs, en particulier au grand public avec lequel ils échangent quotidiennement.

« L’objectif stratégique numéro un est de sensibiliser à la fois les professionnels de santé et le grand public. »

(41) antibioclic.com
(42) sante.fr/antibiomalin.