Cahier thématique n°20 - Lutte contre l’antibiorésistance, tous engagés
03. LES PHARMACIENS ENGAGÉS DANS LA LUTTE CONTRE L'ANTIBIORÉSISTANCE
Les pharmaciens d’officine - Au plus près du patient pour l’accompagner et le conseiller
13/07/2022

Par le rôle de conseil et d’accompagnement du pharmacien d’officine, la dispensation constitue un moment décisif pour le respect des règles de bon usage des antibiotiques par le patient. L’expertise scientifique, la proximité, la répartition homogène sur l’ensemble du territoire font des officinaux les acteurs de santé publique les plus accessibles pour les patients.
Des fondements du métier de pharmacien…
Le bon usage des antibiotiques dépend en grande partie des trois moments clés de la dispensation, tels qu’énoncés dans les bonnes pratiques de dispensation (52) : analyse pharmaceutique, conseil, délivrance.
- L’analyse de l’ordonnance : outre la vérification des posologies, durées de traitement, mode et rythme d’administration, en interrogeant le patient, il est souvent possible de mieux appréhender le contexte, lorsque la seule lecture de l’ordonnance ne permet pas de connaître le diagnostic et ce qui justifie le choix de l’antibiotique.
- Le conseil pharmaceutique est le temps essentiel pour faire prendre conscience au patient de l’importance de l’observance du traitement : « la bonne dose, pendant la bonne durée, ni plus ni moins. »
- La délivrance peut aussi être l’occasion de rappeler les dangers de l’automédication, dans le cas où il y aurait plus d’unités délivrées que nécessaire au traitement. Toutefois, les conditionnements commercialisés par les industriels sont, le plus souvent, adaptés aux posologies et durées de traitement de l’autorisation de mise sur le marché (AMM).
Les messages de sensibilisation du grand public au bon usage des antibiotiques doivent toujours et encore être répétés, car une partie des dérives provient des patients eux-mêmes, notamment par la pression que certains peuvent exercer sur les prescripteurs. Une enquête récente montre que la quasi-totalité (96 %) des médecins généralistes déclarent être confrontés à des demandes d’un traitement antibiotique, lors d’une infection virale (53).
Par ailleurs, la volonté, exprimée dans le plan national, d’inscrire le bon usage des antibiotiques dans une perspective interprofessionnelle devrait se traduire par le prochain développement d’outils favorisant l’interface prescripteurpharmacien. Une utilisation renforcée des outils d’aide à la prescription, éventuellement associés à une ordonnance réservée aux antibiotiques, en fait partie.
(52) Arrêté du 26 février 2021 modifiant l’arrêté du 28 novembre 2016.
(53) DREES. Études et résultats. N° 1217 – Janvier 2022.
… Aux évolutions réglementaires
-> Les tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) (54)
L’Ordre a participé aux réflexions du groupe de travail du ministère des Solidarités et de la Santé, préparant la réalisation des TROD angine à l’officine. Ce test, qui s’appuie sur la détection antigénique du streptocoque ß-hémolytique du groupe A, permet d’identifier l’origine bactérienne de l’angine, avec une sensibilité supérieure à 90 %, et de la différencier ainsi d’une origine virale. L’arrêté du 29 juin 2021 a précisé les conditions de réalisation de ces TROD par les pharmaciens d’officine (locaux, matériel, formation…). Le pharmacien doit notamment s’assurer que la personne répond aux critères d’éligibilité du test, à l’aide d’un algorithme de prise en charge (en annexe de cet arrêté). Le patient a la possibilité, de sa propre initiative, de demander la réalisation de ce test au pharmacien, qui lui explique la conduite à tenir en fonction du résultat. Pour tout comprendre sur le fonctionnement des TROD, le Cespharm met à disposition plusieurs documents pratiques sur le sujet (fiche mémo, tutoriel vidéo, arbre décisionnel…).
-> La dispensation conditionnelle (55)
Depuis le 13 décembre 2021, le pharmacien peut, à la demande du prescripteur, au vu d’une ordonnance de dispensation conditionnelle, assurer la dispensation d’un antibiotique figurant sur une liste préétablie, après réalisation d’un test positif à l’officine (56). Les conditions de cette dispensation conditionnelle ainsi que la liste des antibiotiques concernés sont définies dans l’arrêté du 13 décembre 2021.
Ces mesures ont pour objectif d’améliorer la pertinence du recours à une antibiothérapie, dans une pathologie très largement d’origine virale. La nouvelle convention nationale pharmaceutique (57) renforce également le rôle du pharmacien dans la lutte contre l’antibiorésistance. Ainsi, il peut désormais, en cas de cystite simple chez la femme et dans certaines situations, délivrer une bandelette urinaire et en effectuer l’analyse.
(54) Arrêté du 29 juin 2021 fixant les conditions de réalisation des tests rapides oropharyngés d’orientation diagnostique des angines à streptocoque du groupe A par les pharmaciens d’officine.
(55) Décret n° 2021-1631 et l’arrêté du 13 décembre 2021 fixant la liste des médicaments par lesquels il peut être recouru à une ordonnance de dispensation conditionnelle et les mentions à faire figurer sur cette ordonnance.
(56) TROD angine : la dispensation conditionnelle est lancée. Site du Cespharm – 16 décembre 2021.
(57) Arrêté du 31 mars 2022 portant approbation de la Convention nationale organisant les rapports entre les pharmaciens titulaires d’officine et l’Assurance maladie.
Un rôle majeur d’éducation pour la santé
La mission d’éducation sanitaire du pharmacien d’officine est tout aussi importante sur le volet « Prévention et contrôle des infections » de la lutte contre l’antibiorésistance.
- Au premier rang, figure son rôle d’accompagnement et de réalisation de la vaccination antigrippale, limitant les conséquences potentielles des surinfections bactériennes, mais aussi pour les autres vaccinations.
- Le patient peut bénéficier du conseil pharmaceutique pour les alternatives au traitement antibiotique, lorsqu’il n’est pas nécessaire. En particulier pour les infections respiratoires
saisonnières : lavage nasal au sérum physiologique, traitements de la fièvre, de la douleur, de la toux… en rappelant que ces traitements n’ont qu’une efficacité symptomatique et qu’une infection virale guérit généralement en une huitaine de jours. - Enfin, les règles et mesures d’hygiène (lavage des mains, port du masque, aération des pièces…) ont pris un relief particulier au cours de la pandémie de Covid-19, sur lequel il convient de capitaliser.
L’approche « une seule santé »
Les deux principales causes d’émergence de l’antibiorésistance sont la surconsommation des antibiotiques en santé humaine et en santé animale. Bien que moins décisive, la contamination environnementale est cependant à prendre en compte. La collecte des médicaments non utilisés et la dispensation maîtrisée des antibiotiques à usage vétérinaire sont deux actions exercées par les pharmaciens d’officine, qui s’inscrivent dans ce contexte transversal de lutte contre l’antibiorésistance.
-> Les médicaments non utilisés (MNU)
La contamination de l’environnement par les produits pharmaceutiques, en particulier des rivières, est ubiquitaire et s’est accentuée au fil des ans. En Europe, cette pollution des eaux atteint des niveaux potentiellement dangereux pour plusieurs familles d’antibiotiques. Elle est très majoritairement due aux effluents des traitements administrés à l’homme et à l’animal, mais une partie reste attribuable au rejet de MNU dans l’eau ou dans les ordures ménagères. Face à ce constat, deux actions ont été inscrites dans le plan national de lutte contre l’antibiorésistance (58) :
- promouvoir le dispositif de dispensation à l’unité des antibiotiques en ville ;
- encourager les particuliers à rapporter les MNU à l’officine, ensuite collectés par l’éco-organisme Cyclamed.
Pour le dispositif de collecte Cyclamed (59), bien implanté auprès des pharmaciens d’officine, des supports d’information (vidéos, brochures et affiches), destinés à sensibiliser le public sur la nécessité de rapporter les MNU, sont disponibles auprès du Cespharm (60). Ceci, afin de prévenir les risques pour l’environnement, ainsi que les risques d’accidents domestiques ou liés à l’automédication.
La dispensation à l’unité a été introduite par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie
circulaire (61). Un décret du 31 janvier 2022 (62) en fixe les modalités pratiques, alors que l’arrêté publié le 9 mars 2022 (63) précise que seules les spécialités de la classe des antibactériens à usage systémique conditionnées sous blister ou en sachet-dose peuvent faire l’objet d’une telle dispensation. D’autres modalités pratiques seront précisées par les autorités compétentes (rémunération à l’acte, facturation, adaptation des logiciels de gestion d’officine [LGO]). Cette dispensation à l’unité se fera sur la base du volontariat du pharmacien.
(58) Stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l’antibiorésistance.
(59) Cyclamed.fr (60) Cespharm.fr
(61) Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.
(62) Décret n° 2022-100 du 31 janvier 2022 relatif à la délivrance à l’unité de certains médicaments en pharmacie d’officine.
(63) Arrêté du 1er mars 2022 portant création de la liste des spécialités pouvant être soumises à une délivrance à l’unité en application de l’article R. 5132-42-2 du CSP.
-> Le bon usage des antibiotiques chez l’animal
La dispensation des médicaments à usage vétérinaire à l’officine répond aux mêmes exigences de rigueur que celles des médicaments utilisés en santé humaine. Les dispositions réglementaires sont parfois complexes et, pour s’y conformer de manière pratique, l’Ordre a publié une série de fiches synthétiques, mises à la disposition des pharmaciens d’officine sur son site Internet. Dans le cadre du plan Écoantibio (voir l’encadré), une attention particulière a été portée à la dispensation des antibiotiques et une liste de substances dites « d’importance critique » a été établie. Leur efficacité doit être prioritairement préservée dans l’intérêt de la santé publique humaine et animale. La délivrance des antibiotiques de cette liste est strictement encadrée (indications et durée limitées, non-renouvellement, interdiction de délivrer certains antibiotiques à usage humain, mais non autorisés en médecine vétérinaire).
La dispensation conditionnelle s’inscrit dans la logique de lutte contre l’antibiorésistance
Jean-Marc Glémot,
pharmacien titulaire d’officine en Charente, conseiller ordinal représentant de la section A au Conseil national, et membre du groupe de travail BUA
Il est trop tôt pour tirer des conclusions de la mise en place de la dispensation conditionnelle d’antibiotiques pour l’angine bactérienne, mais les premiers retours témoignent d’un accueil positif des patients. Il faudra probablement un certain temps pour que cette mesure soit pleinement opérationnelle. Cependant, comme
pour la vaccination, je suis convaincu qu’elle suit une tendance irréversible : l’apport des pharmaciens à un parcours de soins plus simple et plus efficace pour les patients.
Prendre le temps d’interroger le patient
Nathalie Teinturier,
pharmacien adjoint d’officine, conseillère ordinale de la section D (représentant les pharmaciens adjoints d’officine et autres exercices)
Le pharmacien a un devoir de conseil à l’égard du patient. Il est essentiel, car il permet d’accompagner le patient dans le bon usage de ses médicaments. Une écoute attentive est nécessaire pour cerner les idées reçues ou les craintes non exprimées. Elles sont particulièrement fréquentes concernant les antibiotiques, tant en ce qui relève de leur intérêt thérapeutique que des dangers de leur mésusage. D’une façon générale, on note quelques évolutions dans la perception du risque infectieux
par le grand public, notamment du fait de la crise sanitaire. Le regain d’intérêt pour la vaccination antigrippale en a été une illustration, et les mesures d’hygiène simples sont mieux comprises. N’hésitons pas à surfer sur la vague !
Étudiants en pharmacie : formation et actions de sensibilisation du grand public
• Renforcement de la formation initiale
La définition d’un socle de compétences minimales, commun aux professionnels de santé, sur la « prévention des infections et de l’antibiorésistance », a été confiée à la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) et au Conseil national professionnel de maladies infectieuses et tropicales (CNP-MIT). Ce référentiel devrait être prochainement disponible pour optimiser le cursus universitaire des cinq professions de santé (médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, et infirmiers).
• Le service sanitaire des étudiants en santé (SSES)
Il s’adresse à tous les étudiants en santé. D’une durée
de six semaines, dont trois consacrées à la réalisation d’une action concrète auprès de différents publics, il a pour but de familiariser les étudiants avec les enjeux de prévention en santé. Les thématiques Prévention et contrôle des infections et Bon usage des antibiotiques étant des priorités nationales du SSES, un espace réservé aux étudiants a été créé sur les sites e-Bug, RéPias et Santé publique France ; il comporte des outils afin de les aider à concrétiser leur projet.
• La mobilisation des associations d’étudiants
Elle s’inscrit dans les projets de la stratégie nationale 2022-2025. L’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf), en lien avec les étudiants en médecine, s’est déjà engagée dans des actions de lutte contre l’antibiorésistance, en lançant notamment un concours d’affiches pour la sensibilisation du grand public (disponibles sur cespharm.fr*).
* Antibiorésistance : des affiches de sensibilisation créées par des étudiants. Cespharm – 17 juin 2021.
Regard d'experts
Claude Rambaud,
vice-présidente de France Assos Santé, spécialiste du droit médical et de la prévention des risques liés aux soins
La stratégie nationale, formalisée par le ministère en début d’année, reprend nombre des propositions faites dans le rapport “Tous ensemble, sauvons les antibiotiques” de 2015 (64), auquel France Assos Santé avait contribué.
En tant que représentante des associations d’usagers, je ne peux qu’en être satisfaite, mais on en est encore au stade de la formalisation pour certaines de ces actions.
Ne perdons pas de temps pour concrétiser des mesures souvent simples, mais essentielles.
Si l’on prend l’objectif n° 1 de l’axe 1 du plan, qui est la sensibilisation à la prévention des infections et de l’antibiorésistance, c’est dès l’école maternelle que l’on se doit de prendre les dispositions adéquates, comme de faciliter l’accès des enfants aux lavabos.
Toujours pour l’hygiène des mains, un audit national a été mené en 2021, dans le cadre de la mission MATIS (65). Les connaissances et l’adhésion aux bonnes pratiques des soignants et des patients/résidents d’établissements de santé ou médicosociaux ont été mesurées (66).
On constate une tendance à une meilleure observance, mais aussi des marges de progrès considérables : on ne peut pas toucher un malade sans friction préalable avec une solution hydroalcoolique ou sans avoir enlevé ses bijoux. En ce qui concerne les bijoux manuportés,
ce doit être tolérance zéro !
Autre exemple de mesure qui pourrait être engagée rapidement – car les outils existent déjà –, mieux faire connaître la possibilité de déclarer les événements indésirables infectieux, que cela concerne un patient ou un soignant, via le portail e-SIN (action 32 de l’axe 2) (67). Ces signalements sont précieux, car ils permettent d’identifier précocement des trajectoires infectieuses et de casser les chaînes de contamination.
Concernant l’information sur le bon usage des antibiotiques, je pense que, là encore, on peut faire beaucoup mieux, notamment parce que, trop souvent, le patient n’ose pas interroger le prescripteur. En cela les pharmaciens ont une position privilégiée puisqu’ils sont à même de lever des doutes qui ne l’auraient pas été lors de la dispensation du traitement. Certes, je sais que c’est une démarche un peu chronophage, mais l’on pourrait, en partie, compenser par des informations bien visibles par le patient (affiches, écrans vidéo…) qui attend d’être pris en charge par le personnel de l’officine. Enfin et surtout, il faut “aller vers” : à chaque dispensation d’antibiotiques, il est nécessaire de s’assurer systématiquement que le patient n’a pas encore une ou plusieurs questions à poser.
« “Aller vers” le patient pour le bon usage et la prévention. »
(64) Carlet J. et Le Coz P. Tous ensemble, sauvons les antibiotiques. Ministère des Solidarités et de la Santé - juin 2015.
(65) Soutien aux actions de prévention : évaluation, formation, communication, documentation.
(66) Résultats synthétiques du Quick Audit Pulpe Friction. RéPias/MATIS, janvier-septembre 2021.
(67) E-sin : signalement externe des infections nosocomiales. Santé publique France – 2 décembre 2021.