Le pharmacien dispose d’outils performants pour réduire le risque de la iatrogénie médicamenteuse chez les personnes âgées. Ils permettent notamment de sécuriser la dispensation des médicaments et de partager de nombreuses informations avec les autres professionnels de santé impliqués dans leur prise en charge. Ceci, en ville comme en établissements de santé ou médicosociaux.

Le dossier pharmaceutique (DP)

Il a été créé à l’initiative du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP), auquel la loi a confié sa mise en œuvre en 2007 (36). Lors de la dispensation de médicaments, le DP-Patient, dossier de santé numérique national où est enregistré l’historique des médicaments (prescrits ou non) délivrés au cours des 36 derniers mois (23 ans pour les vaccins), permet de vérifier l’absence d’interactions ou de redondances de traitements. Ces risques sont plus marqués chez les personnes âgées du fait de la fréquence de la polypathologie, de la multiplicité des prescripteurs et de l’automédication. Le DP-Patient permet également des analyses approfondies du bien-fondé des traitements au long cours et de leurs risques (notamment lors de la réalisation de bilans partagés de médication ou d’une conciliation médicamenteuse). Il renforce le dialogue avec le patient en vue d’améliorer sa compréhension des traitements et leur observance. Il peut être consulté et alimenté par les pharmaciens d’officine et de PUI. Il est aussi accessible en consultation aux médecins des établissements de santé connectés au DP. En présence du patient, ils peuvent ainsi disposer immédiatement d’informations – parfois critiques – sur les traitements, dont ceux délivrés en services de gériatrie et d’anesthésie ou aux urgences.

Prochainement, à compter de la parution du nouveau décret DP, les biologistes médicaux pourront également consulter le DP, pour, par exemple, renforcer davantage la pertinence de leurs avis sur les traitements en cours ou à mettre en place (la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 a autorisé l’accès des biologistes médicaux au DP). 

(36) Article L. 1111-23 du code de la santé publique (CSP).

Le bilan partagé de médication (BPM)

Selon la Haute Autorité de santé, le bilan partagé de médication est défini comme une analyse critique structurée de tous les médicaments pris par le patient. Il a notamment pour objectif d’optimiser l’impact clinique des médicaments, de réduire le risque de iatrogénie et d’améliorer l’adhésion du patient. Il est réalisé par un pharmacien sous la forme d’entretiens menés à l’officine (de manière conventionnelle) (37) ou à l’hôpital.
À l’officine, le BPM s’adresse aux personnes âgées de plus de 65 ans et polymédiquées, pour lesquelles au moins cinq principes actifs différents sont prescrits sur une durée consécutive d’au moins six mois. Ainsi, près de quatre millions de patients âgés sont concernés et éligibles au BPM.

Par ailleurs, la nouvelle convention pharmaceutique prévoit une dérogation aux conditions d’éligibilité au BPM pour les patients résidant en EHPAD, très sensibles au risque iatrogénique du fait de leur âge et de leur forte médication, afin de les inclure dans la cible du dispositif.

Le BPM se déroule en quatre étapes :

  • l’entretien de recueil d’informations : il permet d’évaluer les habitudes de vie du patient et de recenser l’ensemble des traitements pris, prescrits ou non (en s’appuyant notamment sur la consultation du DP et/ou du DMP, des ordonnances en cours et des résultats des analyses biologiques apportés par le patient) ;
  • l’analyse des traitements (en dehors de la présence du patient), avec transmission des conclusions au médecin traitant ;
  • l’entretien-conseil : le pharmacien échange avec le patient sur les conclusions de son analyse, lui remet un plan de posologie (certains prestataires en fournissent des modèles), prodigue les conseils de bon usage associés et répond à ses interrogations ou ses inquiétudes ;
  • des entretiens de suivi d’observance.
    Pour sa réalisation pratique, un guide d’accompagnement et des fiches relatives à chacune des étapes du processus sont mis à disposition dans l’espace pharmacien du site www.ameli.fr (38). Le référentiel Qualité Officine propose une fiche mémo consacrée au BPM (39).

(37) Arrêté du 31 mars 2022 portant approbation de la convention nationale organisant les rapports entre les pharmaciens titulaires d’officine et l’Assurance maladie. Journal officiel du 10 avril 2022.
(38) Le bilan partagé de médication : l’accompagnement pharmaceutique des patients âgés polymédiqués. Décembre 2022.
(39) Référentiel Qualité Officine. M18 Le bilan partagé de médication.


La préparation des doses à administrer (PDA)

La PDA a pour objectif de sécuriser l’administration médicamenteuse en respectant la « règle des 5 B » :

  • le Bon patient ;
  • le Bon médicament ;
  • la Bonne dose ;
  • la Bonne voie d’administration ;
  • au Bon moment.

La polymédication et les déficits (troubles visuels ou cognitifs, difficultés de préhension…), fréquents chez les personnes âgées, sont des facteurs de risque de iatrogénie, de mauvaise observance, de mésusage et d’erreurs médicamenteuses. La PDA permet d’y pallier pour les personnes âgées qui sont accompagnées à domicile et plus encore dans les EHPAD, où le nombre de médicaments pris quotidiennement (sept ou huit par jour en moyenne) et le niveau de dépendance (syndrome démentiel ou troubles du comportement chez environ la moitié des résidents) sont encore plus importants (40). De plus, ces établissements ayant généralement des ressources limitées en personnel soignant, la PDA contribue à la qualité des soins et à la minimisation du risque médicamenteux.

Moins d’un tiers des EHPAD disposent d’une pharmacie à usage intérieur ou y sont rattachés. La PUI doit posséder une autorisation mentionnant expressément l’activité de PDA (41). Pour les autres établissements, la PDA est, la plupart du temps, confiée à des pharmaciens d’officine dans le cadre d’une convention signée entre les parties concernées.

En pratique, elle est réalisée, soit manuellement dans des piluliers, soit à l’aide de robots pilotés par ordinateur qui génèrent les doses, généralement sous forme d’un ruban plastique. Il existe aussi des solutions intermédiaires où le pharmacien et son équipe réalisent manuellement les préparations, mais sont assistés par un logiciel rassemblant les informations sur le patient, ses ordonnances et la traçabilité des médicaments dispensés (scan du Datamatrix du conditionnement primaire, par exemple). Ils peuvent ainsi mettre à disposition des blisters scellés contenant non seulement les PDA, mais aussi les produits non éligibles (médicaments stupéfiants, médicaments à marge thérapeutique étroite ou à galénique particulière…) et des plans de posologie précis pour les infirmières.

La PDA à l’officine n’est, à ce jour, pas encadrée par des textes officiels, mais des recommandations détaillées ont été émises, en particulier par des ARS (42). La PDA doit, en effet, faire l’objet d’une procédure rigoureuse, telle que décrite dans le référentiel Qualité Officine (43) : documents prérequis, matériels nécessaires, méthodologie, traçabilité, locaux, hygiène… Sa réalisation par l’équipe officinale se fait sous le contrôle du pharmacien à toutes les étapes et avec sa validation finale. 

(40) Pr Philippe Verger. La politique du médicament en EHPAD. Paris, décembre 2013.
(41) Article R. 5126-9 du CSP.
(42) ARS PACA. Guide pour la préparation des doses à administrer en EHPAD et autres établissements médicosociaux. Marseille, mars 2017.
(43) Référentiel Qualité Officine. 5.6 Préparation des doses à administrer.

Le BPM est le prolongement direct de ce que réalise quotidiennement le pharmacien au comptoir.

Cécile Guérard-Detuncq,
pharmacien adjoint d’officine, conseiller ordinal de la section D

pharmacien

Un premier frein a été levé, par la reconnaissance du BPM comme un acte pharmaceutique. D’autres freins subsistent, au premier rang desquels le temps à consacrer au BPM ; ceci, sans porter préjudice aux autres activités de l’officine, en particulier pour les petites équipes. Je tiens cependant à encourager vivement les confrères à se lancer dans sa réalisation, moyennant une formation qui leur permettra d’être plus à l’aise (certaines UFR de pharmacie ont inclus la réalisation d’un BPM dans le cursus de leurs étudiants). Après avoir fait quelques BPM, le temps de réalisation est rapidement divisé par deux.

Il faut également avoir conscience que, lors des contacts que nous avons avec une personne âgée au comptoir (dont plus d’une sur trois est éligible au BPM), nous avons déjà fait la moitié du chemin : il ne reste plus qu’à formaliser !

Enfin, c’est un moyen de valoriser nos compétences : j’ai pu le constater lors d’échanges sur des dossiers de patients, avec d’autres professionnels de santé au sein de CPTS ou de SISA*.

* Société Interprofessionnelle de soins ambulatoires.

La PDA : un service pharmaceutique pour « être sûr du bon médicament, au bon dosage, au bon moment, au bon patient » lors de la dispensation à la personne âgée.

Sylvie Vernet,
pharmacien titulaire d’officine, conseiller ordinal régional de Bretagne

pharmacien

Sécurité et traçabilité sont les deux maîtres mots de la PDA. En l’absence de cadre réglementaire national, la convention écrite qu’établit l’officine avec l’EHPAD doit être extrêmement claire et détaillée sur toutes les étapes de réalisation, les matériels et moyens mis en œuvre et la responsabilité de chacun. 
Au niveau de mon officine, nous livrons, deux fois par semaine, les PDA de l’EHPAD (67 lits) situé sur la commune : un bordereau d’émargement est alors signé, témoignant du basculement de notre responsabilité pharmaceutique vers celle de l’établissement. Autre élément positif de cette collaboration, l’interconnexion de notre logiciel de préparation semi-automatisée avec le logiciel métier de l’EHPAD, utilisé notamment par les infirmières. Ce n’est pas encore une pratique très répandue, mais elle contribue à la sécurité et au lien entre les professionnels de santé de la chaîne de soins, y compris en situation d’urgence. Imaginons un retrait de lots demandé par l’Agence du médicament : nous sommes en mesure de diffuser immédiatement l’alerte jusqu’au lit du patient.