Actuellement, la biologie médicale contribue à environ 70 % des diagnostics, et donc des décisions thérapeutiques, sans compter la surveillance des pathologies et des traitements… Dans ce contexte, les progrès de l’IA ne feront que renforcer la capacité de détection et de prédiction nécessaire pour mieux accompagner le patient, et constitueront, dès lors, une aide précieuse pour les professionnels. À condition, bien sûr, que son utilisation se fasse dans un cadre maîtrisé.

Oui, l’IA est en train de transformer la biologie médicale… mais le processus est en fait à l’œuvre depuis longtemps, s’agissant de plateaux basés sur l’algorithmique depuis des décennies pour le traitement de données d’analyse. De plus, la gestion de la Covid-19 a abouti à un « bac à sable » grandeur nature pour confronter les outils d’IA à des applications concrètes en biologie médicale, répondant au besoin croissant d’accélération et d’intensification du traitement des données, ce qui n’est réalisable qu’avec l’IA. Cette évolution a incité les laboratoires de biologie médicale (LBM) à investir dans des équipements de biologie moléculaire, traditionnellement associés aux centres hospitaliers universitaires (CHU), et a également entraîné l’introduction d’outils d’aide à l’interprétation sous forme d’IA ou d’algorithmes complexes.

Quelles sont les promesses de l’IA du pré- au post-analytique ?

  • En pré-analytique, les systèmes d’IA contribueront à améliorer la prise en charge en ciblant des patients à risque ou éligibles au dépistage, grâce à l’analyse rapide et exhaustive d’une grande quantité de données médicales qui permettent à l’IA de reconnaître des patterns ou corrélations qui échapperaient à une analyse humaine. Par ailleurs, ils sont capables de repérer des surprescriptions ou des problèmes de non-conformité sur des échantillons, de faire la chasse aux examens inutiles ou, au contraire, de prescrire ce qui a été oublié en fonction de certains antécédents du patient ou des indications cliniques des prescripteurs.
  • En analytique, ils peuvent intervenir dans des calculs d’indices de prise en compte de résultats pour en faire un indicateur plus global sur des secteurs de risques, sur des pathologies. Sans parler du séquençage de nouvelle génération (NGS), une technologie qui permet de classer simultanément de nombreuses régions génomiques à grande échelle. Autant d’examens spécialisés qui arriveront tôt ou tard dans tous les LBM. Sans être mesurés dans les résultats d’examens, il est d’ailleurs intéressant de constater que de plus en plus de biomarqueurs prédictifs sont calculés et feront appel à l’IA pour la computation des données.
  • En post-analytique, l’IA favorise déjà, et facilitera de plus en plus, l’anticipation d’examens complémentaires à réaliser en fonction des résultats d’une première ligne d’examens. Comme dans l’imagerie, l’IA est capable, lors d’examens de biologie médicale, d’alerter sur ce qui est invisible à l’œil humain, l’humain venant confirmer ou infirmer cette suggestion.

Structuration des données biologiques : une absence préjudiciable de référentiel

L’un des freins de l’IA en biologie médicale reste la difficulté à coder le contexte dans lequel les données ont été établies, élément clé pour la décision clinique du prescripteur. La nomenclature internationale retenue pour la structuration du compte rendu d’examens, le LOINC (Logical Observation Identifiers Names & Codes) n’est toujours pas finalisée. Or, c’est ce qui permettra de préciser avec quelle méthode analytique, sur quel analyseur, dans quelle unité est effectué un examen, certains résultats variant de façon majeure d’une technique à l’autre, devenant ainsi inexploitables d’un contexte à l’autre. 
Aussi, réussir à standardiser les interprétations demeure incertain tant que le LOINC n’a pas abouti… ce qu’une IA arrivera peut-être à faciliter !

Et quelques autres applications…

L’IA est également utilisée pour anticiper les pannes de machines, sur des indicateurs très fins, ce qui permet de faire intervenir le service après-vente avant même que la panne ne se produise. Enfin, notons aussi l’apport positif de modèles d’IA dans la gestion de stocks des LBM, un bénéfice commun à de multiples activités.

« Pas d’inquiétude quant à l’impact de l’IA… mais gare aux algorithmes en ligne ! »

Julien Fonsart,
vice-président de la section G de l’Ordre, représentant les pharmaciens biologistes médicaux, et président de la section biologie de la FIP

Julien fonsart

« Nous connaissons, depuis longtemps, les algorithmes en biologie médicale. Nous savons les gérer pour vérifier que les résultats d’examens ne sont pas altérés. Mais avec le tournant des systèmes d’IA basés sur la mégadonnée, nous laissera-t-on la possibilité à l’avenir de vérifier ? Il faudra être « attentifs ensemble », pour reprendre une célèbre mise en garde. Les recommandations de bonnes pratiques autour de tels systèmes seront-elles établies par un consensus entre professionnels ou par des concepteurs de solutions faisant l’objet de brevets inaccessibles ? L’un des risques serait alors que le biologiste médical refuse d’utiliser certains outils, pourtant susceptibles d’accroître les chances d’un patient, avec des injonctions contradictoires à la clé. N’oublions pas que nous avons une obligation de moyens et de résultat. Cela étant, je ne suis pas très inquiet de l’impact de l’IA en France. L’un de ses atouts sera de redonner du temps au biologiste médical dans un contexte démographique préoccupant. En post-analytique, elle nous aidera dans l’interprétation. J’alerterais en revanche sur la perspective d’algorithmes en ligne auxquels les patients soumettront leurs données, avec des résultats et des prédictions de risques assénés sans accompagnement. De plus, un examen s’interprète en fonction des contextes clinique et technique, notions très complexes à coder encore aujourd’hui. »

« L’IA permet le diagnostic »

Abderaouf Hamza,
biologiste médical, service génétique de l’Institut Curie, membre de la Commission des nouveaux inscrits de l’Ordre

Abderaouf Hamza,

« Dans l’exemple du diagnostic des cancers de primitif inconnu, l’IA permet le diagnostic de l’organe d’origine en comparant le profil des ARN du prélèvement étudié à ceux de dizaines de milliers de tumeurs bien caractérisées, ce qui était impossible auparavant, vu la complexité des analyses et la difficulté de la constitution de ces bases de données de bonne qualité. Il faudra, en revanche, prendre garde à d’éventuels problèmes d’iniquité d’accès à ces technologies qui demandent une certaine expertise et, pour certains outils, des infrastructures informatiques importantes. Avec, en filigrane, la question difficile du transfert de données médicales sensibles pour analyse vers les centres équipés. Quant à la recherche translationnelle, l’application algorithmes d’IA sur des données dites « multimodales » (cliniques, génomiques, transcriptomiques, protéiques…) permet de mieux comprendre la biologie dans toute sa complexité, 
et de révéler des mécanismes d’intérêt que vous auriez pu retrouver avec un papier et un crayon… si vous aviez littéralement des milliers d’années devant vous. »

« Plus d’autonomie pour nos territoires »

Lionel Combé,
président de la délégation Guadeloupe de la section E de l’Ordre, représentant les pharmaciens des départements et collectivités d’outre-mer

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« Dans les territoires d’outre-mer, nous observons positivement l’apport de l’IA pour les biologistes médicaux, qui ont été pionniers dans son usage. Il y a quelques années, il fallait renvoyer des résultats vers la métropole pour certains examens, ce qui contraignait le médecin à une prise en charge non adaptée. Grâce à l’IA, l’autonomie de nos territoires pour la réalisation d’examens aidera très certainement à limiter des pertes de chance pour les patients. Et c’est une avancée cruciale ! L’IA facilite aussi la gestion et les commandes de réactifs, ce qui est clé sur des territoires isolés, ainsi qu’une automatisation qui sécurise le circuit d’analyse en réduisant des manipulations. En répondant ainsi à des problématiques de temps, le pharmacien biologiste pourra être encore plus proactif vis-à-vis du prescripteur. »