Cahier thématique n°23 - IA en santé, entre promesses et prudence
02. Les applications de l’IA dans les différents métiers de la pharmacie
Distribution en gros - Une intégration croissante de l’IA dans tous les pans de l’activité
25/07/2024

La distribution en gros utilise de plus en plus d’algorithmes basés sur le Machine Learning et le Deep Learning dans les systèmes informatiques. Ils permettent d’optimiser le fonctionnement des entrepôts et des centres de décision, en améliorant la gestion des stocks, l’efficacité des transports et la sécurité des commandes. Ces technologies offrent des avantages significatifs et ont un impact croissant sur l’ensemble du processus de distribution.
Comme dans de nombreux métiers, les pharmaciens de la distribution en gros se servent - parfois sans le savoir - d’outils qui s’appuient sur l’IA et qui les aident dans toutes leurs opérations, pour améliorer encore la qualité de service, réduire leurs coûts et leur empreinte carbone et impacter positivement l’expérience client. « C’est autant le cas chez les grossistes-répartiteurs que chez les dépositaires et tous les autres métiers de la distribution en gros », souligne Laure Brenas, présidente de la section C de l’Ordre, représentant les pharmaciens de la distribution en gros.
Analyse multifactorielle de l’approvisionnement
Premier domaine d’application évident : la gestion prévisionnelle des stocks. Désormais, les grossistes-répartiteurs y intègrent, par exemple, la saisonnalité, l’évolution de la demande, des campagnes de fabrication… Objectif : anticiper au maximum pour éviter les ruptures générales ou localisées, mais aussi les risques de surstockage. Chez un dépositaire, l’IA permet d’alerter un laboratoire sur un nécessaire réapprovisionnement en fonction de multiples critères et d’aider à définir ensemble, le cas échéant, un stock minimum de produits sensibles. Avec une connexion directe sécurisée des laboratoires sur les systèmes d’information de distributeurs en gros, l’IA apporte une meilleure proactivité sans nécessité d’un contact téléphonique systématique. On parle bien, à ce titre, de nouvelles possibilités offertes en grande partie par le Machine Learning ou le Deep Learning (voir article "En santé, quelle intelligence artificielle pour quels besoins?").
Préparations de commandes : sécurisation et optimisation
Les outils de la distribution sont de plus en plus autonomes pour optimiser les opérations de stockage et de préparation de commandes. Par exemple, à l’aide de véhicules à guidage automatique (AGV) pour dépalettiser ou palettiser automatiquement les produits, ou encore avec des drones pour les opérations d’inventaire. À partir d’une taille critique d’entrepôt, chez un nombre croissant de distributeurs (dépositaires comme grossistes-répartiteurs), le « goods-to-person » optimisé par IA se développe. Les médicaments commandés parviennent directement à l’opérateur à son poste de préparation de commandes, supprimant ainsi le risque d’erreur et améliorant encore la traçabilité des produits tout au long de la chaîne de distribution.
Côté grossistes-répartiteurs, il existe aussi désormais des outils très autonomes nourris par la data. Ces outils se matérialisent dans les entrepôts par une multiplicité de goulottes descendantes qui se succèdent au fil des allées au-dessus des tapis roulants et qui alimentent automatiquement les caisses destinées aux officinaux de produits à forte rotation, identifiés par code-barre. Ces outils permettent de gagner du temps sur la distribution de ces produits de santé et d’en améliorer l’accès.
Maintenance et transports : prévenir la tuile !
Autre volet croissant d’intervention de l’IA : la maintenance prédictive, avec une gestion technique centralisée (GTC) basée sur la multiplication de capteurs. Ceux-ci analysent les données, y compris émanant des fournisseurs et dans le champ environnemental, pour mieux planifier les maintenances relatives, par exemple, à la température, à la détection d’une non-conformité opérationnelle susceptible d’affecter la qualité d’un médicament, à l’usure d’une pièce mécanique, etc. Ce sont des systèmes très efficaces qui contribuent à réduire le nombre d’arrêts machine ou d’alertes.
Par ailleurs, l’algorithmique intervient de plus en plus dans l’activité de transport des distributeurs : elle permet en effet d’optimiser les stratégies et ordres de livraison, grâce à une analyse croisée de la disponibilité, de la maintenance et des caractéristiques des véhicules, du trafic routier, des conditions météo, du nombre et de la localisation des déposes à réaliser, des caractéristiques des produits à livrer…
Services clients : gain de temps et proactivité
Enfin, l’IA commence à être exploitée dans le cadre des services clients pour réduire le temps de traitement des demandes. Ce n’est plus un opérateur qui effectue le premier niveau de réponse à une officine ou une PUI par exemple, mais un système d’IA qui analyse les données pour lui répondre. La demande est rebasculée à la personne adéquate en fonction des urgences, de la granularité de l’information à donner ou de la problématique.
« Plus nous aurons de données de qualité pour alimenter tous ces modèles, plus nous pourrons en améliorer la performance, souligne Laure Brenas. De plus, il est évident que l’intégration de systèmes d’IA variera d’un distributeur en gros à un autre, en fonction de ses besoins et de ses investissements. Mais il est certain que nous y tendrons tous de plus en plus. »
Enfin, comme dans de nombreuses entreprises, l’IA est désormais utilisée dans de multiples autres domaines tels que la gestion contractuelle, la dématérialisation de nombreux actes administratifs, la surveillance des fournisseurs et du marché, la mesure de son bilan de gaz à effet de serre, ou encore la détection des fraudes.
« Un atout pour l’approvisionnement des territoires ultramarins »
Lionel Combé,
président de la délégation Guadeloupe de la section E de l’Ordre, représentant les pharmaciens des départements et collectivités d’outre-mer

« Nous sommes particulièrement confrontés aux tensions d’approvisionnement dans les outre-mer et nous avons encore plus besoin d’anticiper. Grâce à l’IA, la prise en compte croisée de critères d’éloignement, de saisonnalité, d’épidémiologie et de multiples autres facteurs intervenant dans la chaîne d’approvisionnement peut permettre au pharmacien d’avoir les bons produits au bon moment et dans les justes quantités. Nous sommes de plus en plus interconnectés. Une demande, un besoin, une alerte peut aussi bien partir d’une pharmacie que du laboratoire exploitant se rapprochant du grossiste, ou directement de ce dernier. Ce sera d’autant plus précieux sur les nouvelles thérapeutiques aux échelles de prix importantes. »
« Ne pas craindre un changement au bénéfice de la santé publique »
Laure Brenas,
présidente de la section C de l’Ordre, représentant les pharmaciens de la distribution en gros

« Dans nos métiers, il ne faut pas voir l’IA comme quelque chose qui remplacera l’homme, mais comme un outil qui optimise notre activité.
En revanche, pour en tirer pleinement profit, il faut prendre des mesures organisationnelles. L’intelligence artificielle permet aussi de sécuriser certaines tâches. Par exemple, un système robotisé de « goods-to-person » intégrant de l’IA améliore la qualité et la réactivité de la livraison.
Il s’agit ainsi d’allier l’IA à l’humain et d’éviter à ce dernier un maximum de tâches répétitives, inconfortables physiquement et mentalement, afin de lui réserver les tâches plus complexes, pour lesquelles les opérateurs et les pharmaciens ont une plus grande valeur ajoutée. Dans la distribution en gros, nous avons des procédures claires sur les qualifications de conception, d’installation opérationnelle et de production, permettant de s’assurer que le développement informatique est conforme. Toute modification algorithmique nécessite de repasser par ces procédures.
Par ailleurs, nous aurons tôt ou tard des systèmes d’IA connectés entre distributeurs, officinaux, établissements de santé, qui permettront de livrer le médicament en fonction des prescriptions et habitudes du patient, des rotations de la pharmacie, etc. Et cela, avec la proposition d’options (basculement d’un fournisseur à l’autre, distributeur ou exploitant) en cas de difficulté d’approvisionnement. Pour la gestion des ruptures, l’IA sera précieuse puisqu’elle fera gagner du temps et permettra de fournir au patient des informations sur la disponibilité de son traitement ou sur des alternatives. Il faut en tout cas encourager les confrères et nos structures à investir dans ces nouvelles technologies : c’est non seulement un atout qui nous aide à être plus performants économiquement, mais surtout à rendre un meilleur service de santé publique. Dans cette perspective, il ne faut surtout pas avoir peur du changement. »