Cahier thématique n°23 - IA en santé, entre promesses et prudence
02. Les applications de l’IA dans les différents métiers de la pharmacie
Établissements de santé - Des systèmes experts dans le quotidien des pharmaciens
25/07/2024

Analyse d’ordonnances, d’interactions, pharmacie clinique, aide à la préparation de traitements anticancéreux, au télésoin… pionniers, les pharmaciens hospitaliers utilisent déjà dans leurs pratiques un grand nombre d’outils basés sur des systèmes experts et l’intelligence artificielle.
Faciliter et valoriser les interventions pharmaceutiques
Confrontés à l’augmentation et la complexification des files actives de patients dans un contexte de moyens et d’effectifs contraints, nombre d’établissements de santé ont déjà mis en œuvre un système expert adossé au dossier patient informatisé pour générer automatiquement des alertes en cas de risque iatrogène, de prescription inadaptée… L’outil informatique s’appuyant sur des algorithmes et de l’IA vise à promouvoir l’efficience de l’analyse pharmaceutique des prescriptions médicamenteuses, à renforcer leur pertinence et à améliorer la sécurité thérapeutique.
Ainsi, les systèmes d’IA en pharmacie clinique portent à la fois sur la priorisation des cas et sur l’optimisation des analyses au croisement d’informations multisources pour faciliter les interventions pharmaceutiques. Les chercheurs du Laboratoire de recherche translationnelle et innovation en médecine et complexité (TIMC-CNRS/Université de Grenoble) ont constaté la diversité de ces apports à travers une revue de l’état de l’art sur les méthodes et applications d’IA dans les services de pharmacie clinique(12). Les systèmes d’IA visent ici principalement l’aide décisionnelle autour de la prescription, de la délivrance, de l’adhésion thérapeutique des patients, de la réalisation d’entretiens pharmaceutiques… Avec des perspectives nombreuses, grâce à l’essor programmé des données issues des dossiers médicaux électroniques, mais aussi des entrepôts de données régionaux qui contribueront à alimenter et entraîner ces systèmes. Quant aux comptes rendus de consultations et d’entretiens liés à l’activité clinique, extrêmement chronophages en établissements, ils seront facilités et permettront à l’avenir de mettre plus en évidence les points marquants grâce à l’essor de l’IA générative en lien avec les progrès du traitement du langage naturel.
(12) Voir le site du CNRS Sciences informatiques et l’article afférant à cette étude dans l’International Journal of Medical Informatics, avril 2023.
Aide aux préparations et télésuivi
On trouve, par ailleurs, des exemples marquants d’application de l’IA en PUI dans le champ des préparations pharmaceutiques de médicaments, de chimiothérapies, de thérapies innovantes, ou dans le cadre de préparations pharmaceutiques biologiques telles que les collyres de sérums autologues. Un système de reconnaissance par vidéo ou de lunettes connectées, couplé à une intelligence artificielle, donne au préparateur sur écran les manipulations à effectuer, étape par étape. L’IA reconnaît les flacons, les poches de solvants, les volumes des seringues et réalise le contrôle, avant une ultime validation humaine. Outre le fait de sécuriser la préparation de manière renforcée vis-à-vis d’un contrôle humain, ce type de dispositif permet de libérer du temps de préparateur jusqu’ici consacré au contrôle des manipulateurs, et qui peut être ainsi redéployé ailleurs, ou d’éviter des interruptions de tâches, sources d’erreurs médicamenteuses.
Notons aussi le développement croissant à l’hôpital de l’usage de robots conversationnels « intelligents » permettant aux professionnels de rester en contact avec le patient. La digitalisation des parcours patients, particulièrement développée en oncologie récemment, vise à maintenir le suivi entre les traitements. Les patients remplissent des questionnaires sur leurs symptômes, analysés par une IA qui alerte l’équipe soignante selon un code couleur. En fonction de l’alerte, les soignants peuvent les contacter pour confirmer le diagnostic, leur recommander un médicament en cas d’effet secondaire, les réorienter vers un service hospitalier ou reporter le traitement. Un usage particulièrement intéressant pour les équipes pharmaceutiques engagées dans le télésoin et la téléexpertise.
« Un outil précieux… mais le dernier mot appartient au pharmacien »
Patrick Rambourg,
président de la section H de l’Ordre, représentant les pharmaciens des établissements de santé ou médicosociaux et des services d’incendie et de secours

« Que ce soit pour guider et contrôler une préparation, faciliter la pharmacie clinique, analyser des ordonnances, éviter la iatrogénie, inventer de nouveaux outils, ou encore rendre plus aisé et sécuriser
une tâche, les systèmes d’intelligence artificielle ne constitue(ro)nt qu’une aide pour le pharmacien ou le préparateur. On n’a en effet validé aucun système autonome à ce jour. Notre décision peut très bien ne pas être conforme à ce que préconise l’IA. In fine, il y aura toujours l’intervention d’un pharmacien, d’une intelligence naturelle. Corrélativement, il ne faudra en aucun cas se réfugier derrière une décision de l’IA. Cela étant, ces outils s’appuyant sur de l’IA sont de plus en plus précieux dans l’aide à la décision et contribuent à nous épargner du temps pharmaceutique dont nous manquons cruellement. Et je pense que l’intelligence artificielle devrait nous aider à développer le télésoin, la téléexpertise et à mieux intégrer l’ensemble du parcours patient, en transcendant les frontières entre la ville et l’hôpital, alors que la pharmacie clinique est devenue indissociable de notre métier. Et si l’IA facilite l’interprofessionnalité, la transmission d’informations patient, beaucoup mieux traitées et plus claires… alors, pourquoi pas ! »
Robots et approvisionnements : des usages prometteurs
Dans la logistique, l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médicosociaux (Anap) souligne le développement des armoires intelligentes, parfaitement adaptables aux PUI. Des véhicules complètement autonomes se déplacent d’un service à un autre grâce à des capteurs anticollision. Ils utilisent les mêmes voies et ascenseurs que les humains, avec une recherche optimale d’itinéraires (contrairement aux tortues qui nécessitent un guidage au sol). Ces systèmes ont la capacité de chercher les bons produits, au bon moment, pour les destiner aux bons services. Ces « automates 2.0 » en devenir restent encore coûteux, mais sont appelés à se développer.
À noter que les chercheurs du TIMC(13) mettent en avant, pour le futur, un enjeu d’utilisation de l’IA pour le pilotage de la chaîne d’approvisionnement et de la gestion des médicaments en période de rupture.
(13) Laboratoire interdisciplinaire au cœur de la recherche translationnelle en santé qui réunit des scientifiques et des cliniciens autour de l’utilisation des sciences numériques, mathématiques appliquées et sciences du vivant pour la compréhension et le contrôle des processus normaux et pathologiques en santé.
« L’algorithme devient un allié »
Rémy Collomp,
pharmacien chef de service du CHU de Nice, responsable du groupe de travail pharmacie clinique à la Société française de pharmacie clinique (SFPC)

« Parmi les algorithmes poussés que nous avons désormais à disposition, il y a d’abord les systèmes d’aide à la décision pharmaceutique (SADP) qui piochent dans toutes les données patients (traitements, âge, biologie…). Ces outils nous permettent de chercher dans ces données de manière automatique et en temps réel, nous aidant ainsi à prioriser et filtrer, et surtout à réaliser ce travail en continu, sans report d’interventions pharmaceutiques. Bientôt, nous bénéficierons d’une véritable IA dans ce domaine, avec des modèles capables d’affiner les alertes en fonction de notre pratique, ce qui posera par ailleurs une question d’harmonisation de nos pratiques entre confrères.
J’évoquerais un second domaine d’intervention de l’IA sous forme de « détrompeur », par exemple dans l’aide aux préparations de chimiothérapies. L’archivage des images nous permet ensuite une autoévaluation. On rejoint là l’intérêt de l’IA dans la simulation et la formation, où l’algorithme devient un allié, au-delà du contrôle. En médecine et en cours pour la pharmacie clinique, nous utilisons à Nice des applications d’IA générative pour nous former aux entretiens pharmaceutiques. Adossée à des référentiels validés, elle est capable d’identifier, dans mon discours, si j’ai rebondi sur certaines remarques et donc si j’ai été empathique, si j’emploie les bons termes, si j’ai utilisé ma propre expérience… Nous tester ainsi plusieurs fois nous rend plus performants quand nous passons aux simulations entre collègues, puis face à de vrais patients. Cela renvoie aussi à l’usage de chatbots dans les parcours, potentiellement préférés par les patients dans la mesure où ils sont toujours disponibles, et qu’ils ne s’énervent pas quand on les fait répéter… La grande question est de savoir quand et comment intercaler judicieusement l’humain et l’IA, et dans quelles limites, en sachant que l’IA est nourrie initialement par l’intelligence humaine. Enfin, l’IA peut m’aider face à un cas clinique en ayant une référence dans un domaine d’activité que je ne maîtrise pas en tant que pharmacien, par exemple en radiologie, sans avoir à attendre parfois plusieurs heures la disponibilité d’un spécialiste. Il ne s’agit pas
de comparer ici le système d’IA au Prix Nobel de l’expertise, mais de faire bénéficier le plus grand nombre de praticiens d’un bon niveau d’expertise. »