Dans une société marquée par la montée des tensions, les pharmaciens sont, à l’instar de l’ensemble des professionnels de santé, de plus en plus exposés au phénomène de l’insécurité. L’Ordre, aux côtés des pouvoirs publics, se mobilise pour adapter la législation et renforcer l’accompagnement des victimes. Pour cela, il rappelle l’importance de déclarer les agressions et de porter plainte pour ne pas laisser ces actes impunis.

Publié en avril 2024, le bilan annuel de la sécurité recense l’ensemble des déclarations d’agressions subies par les pharmaciens en 2023. Avec, en moyenne, 40 agressions déclarées par mois, le phénomène est en forte progression. On compte en effet une hausse de 30 % des faits signalés par rapport à 2022, soit au total 475 agressions. Parmi celles-ci, 459 (soit 97 %) concernent des pharmaciens d’officine (dont 7 en outre-mer), 14 des pharmaciens exerçant en laboratoires de biologie médicale (LBM) et 2 en pharmacies à usage intérieur (PUI).

En officine, la majorité des déclarations fait état, comme en 2022, de menaces, d’injures ou encore d’agressions physiques principalement motivées par des refus de dispensation. Cependant, 40 % des déclarations concernent des vols pour se procurer de l’argent, des produits pharmaceutiques ou parapharmaceutiques. Il est à noter également qu’un quart des agressions surviennent à l’occasion des gardes, en dehors des heures d’ouverture habituelles, soit deux fois plus en cinq ans.

Les chiffres des agressions en 2023

  • + 30 % : c’est la hausse des déclarations d’agressions de pharmaciens en 2023
  • 64 actes de vandalisme ont été portés à la connaissance de l’Ordre durant les émeutes urbaines en juin et juillet
  • 40 % des déclarations concernent des vols pour se procurer de l’argent, des produits pharmaceutiques ou parapharmaceutiques

Un plan gouvernemental soutenu par l’Ordre

La protection de la qualité et de la sécurité de l’exercice pharmaceutique est au cœur des missions de l’Ordre. En 2023, il a activement contribué à l’élaboration du plan présenté par le ministère de la Santé en septembre. Trois axes sont proposés :

1. La sensibilisation du public et la formation des soignants.

2. Le renforcement des sanctions pénales envers les agresseurs.

3. L’amélioration du dispositif de déclaration des agressions et d’accompagnement des victimes.

Première étape, une campagne d’information a été déployée dans les médias en décembre 2023 et janvier 2024 sur le thème « Stop aux violences contre les professionnels de santé ». Destinée à changer le comportement des patients violents, elle incitait, en outre, les victimes à déclarer les agressions et à porter plainte.

Des services de protection proposés par la Gendarmerie nationale

La gendarmerie nationale, en lien avec l’Ordre, déploie des services spécifiques pour les pharmaciens : des patrouilles ciblées peuvent être diligentées, des services locaux comme des SMS de prévention de type « VigiCommerces » sont proposés et un recensement spécifique des lieux professionnels à risque (locaux non occupés, produits onéreux ou recherchés) peut être réalisé. Pour ce faire, le pharmacien a la possibilité de recenser son établissement dans l’application « Opération tranquillité entreprises et commerces » (OTEC) ou, à titre personnel, dans la base de données « des interventions et demandes particulières de protection » (SIDPP) en qualité de « profession menacée ». Ces démarches assureront aux pharmaciens une intervention rapide de la gendarmerie nationale en cas de problème. Une étude de sûreté peut également être effectuée gratuitement par un personnel de la chaîne de prévention situationnelle de la gendarmerie, dont la mission est d’évaluer les vulnérabilités des sites et de délivrer des conseils visant à renforcer leur protection. Pour bénéficier de cet accompagnement, le contact doit être pris avec la brigade de gendarmerie locale. Le dépôt de plainte se fait sur place ou sur rendez-vous à la gendarmerie. L’Ordre invite les pharmaciens de garde à se faire connaître auprès de leur gendarmerie.

Vers des sanctions plus fermes

Seconde étape du plan d’action, une proposition de loi a été déposée sous la précédente législature et votée en première lecture à l’Assemblée nationale en mars 2024. Le texte vise à traduire sur le plan législatif le volet pénal du plan gouvernemental. Si ce texte est porté à l’ordre du jour au Sénat suite à la dissolution et que celui-ci est adopté, il permettrait d’aggraver la sanction des violences délictuelles commises à l’encontre des personnels des établissements de santé, mais également des officines et des laboratoires de biologie médicale. Il étendrait aussi le champ d’application des circonstances aggravantes retenues en cas de vol de matériel médical et créerait enfin un délit d’outrage en cas d’agression de professionnels de santé, avec des sanctions aggravées.

L’Ordre aux côtés des victimes

Aux côtés des pharmaciens, l’Ordre s’implique au quotidien pour soutenir les confrères en difficulté et œuvrer auprès des pouvoirs publics pour mieux lutter contre les violences. Afin d’accompagner les victimes, l’Ordre a développé un dispositif spécifique. Il vise d’abord à inciter les pharmaciens agressés à remplir le formulaire de déclaration accessible en ligne sur le site de l’Ordre. Une démarche nécessaire afin que l’Ordre puisse évaluer le degré d’exposition des pharmaciens, et alerter les autorités pour qu’ils prennent des mesures adaptées. En cas de dépôt de plainte du pharmacien et, si celui-ci le souhaite, l’Ordre peut, dans certaines circonstances, se constituer partie civile à ses côtés, au titre de l’article L. 4233-1 du code de la santé publique (CSP). Par ailleurs, l’Ordre a nommé des conseillers ordinaux « référents sécurité » pour chaque métier. Leur rôle est de contacter les victimes, de les soutenir et de les accompagner dans leurs démarches. Leurs coordonnées sont accessibles sur le site de l’Ordre, après s’être connecté à son espace personnel. Les référents sécurité départementaux de la section A (représentants les pharmaciens titulaires d'officine) sont aussi des interlocuteurs privilégiés des forces de l’ordre locales et des autorités judiciaires, dans le cadre de la déclinaison territoriale du protocole Santé sécurité justice.

L’institution s’attache également à relayer les outils mis à disposition des victimes par les autorités, dont des fiches conseil rédigées par la police nationale ou la gendarmerie nationale.

Des actions de soutien

D’autres initiatives sont à signaler, dont l’inscription de la « Gestion pratique de la violence et de l’agressivité du patient et de son entourage », parmi les orientations prioritaires du développement professionnel continu (DPC) pour la période 2023-2025, ce qui permettra la reconnaissance d’actions de formation dans ce domaine. Par ailleurs, l’association Aide et dispositif d’orientation pour les pharmaciens (ADOP) se mobilise pour soutenir les pharmaciens en situation de vulnérabilité, notamment en cas de stress post-traumatique lié à une agression.

« Des élus disponibles et impliqués »

Gildas Bernier
référent national sécurité, membre du Conseil national de l’Ordre

Gildas Bernier

« En tant que référent sécurité au niveau national, j’ai activement participé à la conception de la feuille de route, lancée par l’Ordre et dédiée à la sécurité de nos confrères. Elle comporte une dizaine de points principaux et vise à renforcer notre présence auprès des pharmaciens, dans un contexte de montée des violences à l’encontre des professionnels de santé. Je suis également chargé d’animer le réseau des référents sécurité répartis sur l’ensemble du territoire. On en compte plus de 110 pour l’ensemble des sections. Leur rôle est fondamental : chacun s’efforce de contacter un confrère victime d’agression, dans les 48 heures après l’envoi du formulaire en ligne. Être appelé par un pair, formé à l’écoute et à l’orientation dans les démarches à accomplir, c’est souvent une aide précieuse, dans un moment de grande vulnérabilité psychologique. Dans les mois à venir, nous allons renforcer la formation des référents sécurité, grâce au savoir-faire de l’association ADOP. »

Outre-mer : des pharmaciens sous tension

Sept déclarations d’agression ont été recensées en outre-mer en 2023. C’est moins qu’en 2022 (12) et 2021 (9). Cependant, sur certains territoires, l’existence d’un climat de violence lié à des circonstances particulières expose les professionnels de santé à l’insécurité.

En Guyane, les pharmaciens appellent à plus de moyens de la part des autorités pour sécuriser leur exercice. À Mayotte, les tensions politiques de ces derniers mois ont pesé sur le moral des pharmaciens.

« Aujourd’hui, les barrages sont levés et la situation revient à la normale, témoigne Soufiane Kadri, installé à Mayotte et élu de la section E (représentant les pharmaciens des départements et collectivités d’outre-mer).

Cependant, certains confrères, ciblés pour leur profession, ont été bloqués à plusieurs reprises à l’occasion de barrages. Et une collègue a reçu un cocktail Molotov sur sa devanture. » Les pharmaciens d’officine disposent d’un bouton d’alerte, mis en place par l’ARS (Agence régionale de santé), qui permet de contacter d’urgence les services de police en cas de menace.

Sécurité des données : la vigilance de rigueur

La cybercriminalité ne cesse de s’étendre au champ de la santé, avec des risques réels pour la protection des données personnelles des patients. Les hôpitaux font l’objet d’attaques régulières en provenance de hackers, sous diverses formes : blocage des systèmes informatiques et demande de rançon, piratage des données de santé pour revente sur le « dark web ». En 2022 et 2023, des laboratoires de biologie médicale ont été la cible de cyberattaques, avec demandes de rançon. Et les officines sont également exposées. Il est essentiel, pour le pharmacien, de se former aux règles de la « bonne hygiène informatique ». L’Ordre les accompagne et propose des outils afin de prévenir ces risques et réagir aux agressions. Sur le site Démarche Qualité à l’Officine (DQO), la fiche « Protection des données de santé » permet d’acquérir les informations de base pour sécuriser les données de santé hébergées par les systèmes d’information des officines.

En savoir plus :

MOT D’ORDRE

Carine Wolf-Thal
présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens

carine wolf-thal

« Ce bilan et le constat qu’il dévoile renforcent notre détermination à agir, en étroite concertation avec les pouvoirs publics, pour préserver la sécurité de celles et ceux qui prennent soin des autres.

Aux côtés de Gildas Bernier, élu référent auprès du Conseil national, nous savons pouvoir compter sur l’engagement de tous nos conseillers partout en métropole et outre-mer, pour orienter au mieux les pharmaciens dans ces situations difficiles. »