Le concept de sobriété est présent partout : dans l’économie, dans l’énergie, et surtout, dans la santé, où cette recherche de l’équilibre entre les besoins et les ressources se développe de plus en plus. Face aux enjeux de transition écologique et d’amélioration de la prise en charge des patients, la sobriété pharmaceutique est aujourd’hui plus que nécessaire et entre les mains de tous les pharmaciens.

Comprendre la sobriété médicamenteuse

Au cœur du débat public

Depuis la sortie de la pandémie de Covid­19, le concept de sobriété s’invite dans le débat public, reflétant les effets directs de la crise économique – dette publique, inflation, délocalisation industrielle –, mais également ceux du contexte de guerre en Ukraine, ayant pour conséquence le développement du concept de sobriété énergétique. Depuis 2022, le secteur de la santé n’échappe plus à cette approche fondée sur un principe déjà développé depuis trois décennies : le « juste soin », « au bon patient », « au bon moment » et « dans des proportions adaptées à ses besoins de santé ».

Des enjeux économiques, écologiques et de santé publique

Plusieurs paramètres imposent aujourd’hui d’être plus efficients en matière de consommation de médicaments et de produits de santé. L’état inquiétant des dépenses, d’abord, quand le déficit de la branche maladie atteint le montant record de 18 milliards d’euros en 2024. Le phénomène préoccupant des pénuries de médicaments, ensuite, qui ne cesse de croître : 4 952 cas ont été recensés en 2023, selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), soit un doublement en trois ans. Par ailleurs, les prescriptions inappropriées pour les patients avec, à la clé, un risque majoré de mésusage et/ou de iatrogénie médicamenteuse, peuvent être préjudiciables. À noter que, selon une étude de latrostat en 2022, 16 % des hospitalisations sont dues à des effets indésirables, soit 200 000 par an par an, dont près de 10 000 décès. Enfin, un enjeu sociétal majeur s’affirme aujourd’hui : la transition écologique doit être menée dans le secteur de la santé qui, selon le Shift Project, représente 8 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’ensemble de l’économie française. L’impact spécifique des médicaments et produits de santé, encore à l’étude, pourrait peser pour près d’un tiers de ces émissions.

2 % des émissions des GES (gaz à effets de serre)

seraient liés à l’achat de médicaments.

Aller vers une juste consommation

La sobriété pharmaceutique, que l’on peut définir comme « la réduction des usages excessifs et inappropriés des médicaments et produits de santé », devient une des clés d’actions pour les pouvoirs publics et les autorités de santé. Tout d’abord, la lutte contre la surconsommation : même si la France n’est plus « championne du monde » en matière de volumes consommés par habitant (–16 % en dix ans), elle demeure parmi les plus gros consommateurs à l’échelle des pays développés. C’est le cas, entre autres, des antibiotiques, pour lesquels la France est en tête des pays européens, ce qui expose la population aux phénomènes d’antibiorésistance, même si on a pu observer une légère baisse de leur consommation en 2023. Selon les derniers chiffres publiés par Santé publique France, 125 000 infections à bactéries multirésistantes, entraînant un peu plus de 5 500 décès, ont été recensées en France en 2015.

Le bon usage pour une meilleure santé

Outre la nécessité de diminuer les volumes de médicaments et produits de santé prescrits et délivrés, certaines actions plus ciblées nécessitent d’être accentuées. Le bon usage des antibiotiques fait partie des priorités affichées, dans le cadre de la stratégie dite « One Health » : les approches de santé humaine, santé animale et santé environnementale doivent être coordonnées, notamment pour réduire les risques d’antibiorésistance. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, cette dernière pourrait être la cause de 10 millions de décès par an en 2050, dans le monde. Autre exemple, la polymédication chez les personnes âgées constitue un enjeu majeur de santé publique. Près de la moitié d’entre elles se voient prescrire cinq médicaments et plus par ordonnance. Or, au-delà de cinq médicaments ou principes actifs, le risque de survenue d’un événement indésirable, du fait des médicaments ou de leurs interactions, augmente significativement. Réduire leur consommation est donc un impératif, d’abord pour préserver la santé, mais également pour progresser dans l’efficience de la dépense.

La transition écologique en jeu

Sur le plan des impacts environnementaux, près de 2 % des émissions de GES seraient liées à l’achat de médicaments, toujours selon le Shift Project. Mais ces évaluations, qui portent sur les effets des activités de fabrication et de distribution sur l’empreinte carbone, ne prennent pas en compte la totalité des autres impacts environnementaux (épuisement des ressources en eau, toxicité, eutrophisation des milieux…). Des travaux sont en cours (voir article « transition écologique ») [LL1] dans le but de mesurer plus largement la performance environnementale globale de ces produits grâce à une méthode homogénéisée de comptabilité carbone pour les médicaments et produits de santé. L’enjeu est de permettre la comparaison entre les modalités de fabrication, l’établissement de seuils d’acceptabilité, l’analyse complète des cycles de vie, la création d’incitatifs pour des process de production plus vertueux, la mise en place de politiques d’achat plus efficaces et valorisantes pour les produits écocompatibles. L’incitation à la décarbonation des processus de distribution et de transport des médicaments est aussi au cœur des préoccupations.

Les pénuries, un facteur de vulnérabilité

Un autre fait mobilise les autorités : les pénuries qui fragilisent tout le circuit des médicaments et produits de santé, à l’origine d’effets collatéraux sur la consommation. En cas de risque de rupture sur une spécialité, des stratégies de report s’effectuent sur des spécialités analogues, accroissant les tensions sur ces produits. Le phénomène de surstockage occasionnel, par précaution, déstabilise encore davantage la répartition équitable des produits essentiels selon les territoires. Outre les conséquences dommageables pour certains patients, ces comportements induisent la consommation supplémentaire de ressources, avec des effets négatifs sur l’environnement. Pour nécessaires qu’elles soient, les obligations de stocks pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur génèrent également des dépenses supplémentaires et augmentent les émissions de GES. Enfin, le fait de devoir réviser une prescription destinée à un patient, en raison de rupture, durable ou non, n’est pas toujours anodin : iatrogénie, inobservance, mésusage, effets indésirables non observés en amont…

Agir sur le plan global : des actions en faveur de la sobriété médicamenteuse

Mieux informer les citoyens

Plusieurs initiatives ont été entreprises pour chercher à sensibiliser l’opinion publique sur la notion de sobriété pharmaceutique, centrée sur le bon usage. En 2023, l’ANSM engageait une campagne avec des slogans comme : « Les médicaments ne sont pas des produits comme les autres, ne les prenons pas à la légère. » Pour appuyer ses messages, elle s’était inspirée d’enquêtes d’opinion montrant la faible connaissance des Français sur ce sujet :

  • 3 Français sur 10 adaptent, par eux­mêmes, la dose ou la durée des médicaments qui leur ont été prescrits
  • 1 Français sur 5 prend des doses plus fortes ou plusieurs médicaments en même temps pour soulager plus vite les symptômes
  • près d’un Français sur 2 a déjà donné un médicament à un proche, car il avait les mêmes symptômes, et 1 sur 10 le ferait même systématiquement ou souvent

Baisser le volume

En juin 2024, le LEEM (Les entreprises du médicament), syndicat des entreprises du médicament, a lancé une campagne inédite pour le secteur. Avec le slogan « Réduisons le volume », il appelle chaque Français à s’interroger sur son rapport au médicament, son usage, et recommande aux patients de dialoguer avec les professionnels de santé en cas de doute sur les éventuels effets indésirables, les précautions d’usage à respecter et les risques d’interactions dangereuses à surveiller. La campagne met également l’accent sur la polymédication des personnes âgées, avec l’objectif de limiter chaque ordonnance à cinq médicaments ou principes actifs.

5 médicaments/principes actifs :

limite au-delà de laquelle le risque d’un événement indésirable, du fait des médicaments ou de leurs interactions, augmente significativement.

Mieux sensibiliser et former les professionnels

La consommation de médicaments est d’abord et avant tout basée sur un dialogue constructif et transparent entre le patient et les professionnels de santé. L’ANSM recommande au patient d’adopter les bons réflexes face au professionnel de santé, dans le cabinet du médecin ou au comptoir de la pharmacie. Bien décrire ses symptômes, évoquer les antécédents familiaux lorsqu’ils sont connus, indiquer d’autres prescriptions ou la prise de traitements en automédication, apporter ses résultats d’examens, parler de son contexte de vie personnelle et professionnelle, ne jamais omettre un symptôme apparu après la prise d’un médicament… le bon usage dépend avant tout du partage exhaustif d’informations essentielles pour éclairer la bonne décision thérapeutique. L’ANSM, mais également la Haute Autorité de Santé (HAS), les Observatoire du médicament, des dispositifs médicaux e de l’innovation thérapeutique (OMEDIT) en collaboration avec les Agences régionales de santé (ARS) se mobilisent conjointement pour sensibiliser les professionnels de santé sur le thème du bon usage et de la sobriété pharmaceutique. De nouveaux outils sont mis en place, comme la cartographie des risques de mésusage, l’identification des classes et molécules à risque, l’adaptation des recommandations de bonne pratique, le renforcement des messages de prévention pour certaines catégories de patients particulièrement exposés (enfants, femmes enceintes, personnes âgées…). De nouveaux relais de sensibilisation sont également utilisés, comme la mobilisation d’étudiants à travers le service sanitaire, pour sensibiliser le public au bon usage du médicament.

À l’ère de la « déprescription »

À l’occasion de la nouvelle convention médicale, signée en juin dernier, les parties signataires ont créé un nouvel instrument visant la sobriété médicamenteuse : la « consultation de déprescription ». Concrètement, les médecins y seront incités via le versement d’un bonus annuel, sous certaines conditions. Ils recevront des recommandations les sensibilisant à la sobriété des prescriptions. Autre avancée, des mécanismes d’intéressement seront proposés pour les médecins qui prescrivent des biosimilaires et/ou qui réduisent leur prescription d’inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). La convention prévoit d’autres objectifs de pertinence des soins, comme la réduction respective à quatre et deux molécules des patients hyperpolymédiqués et polymédiqués de 65 ans et plus. Cette nouvelle approche s’appuiera sur un bilan partagé de médication, réalisé par le pharmacien et prescrit par le médecin, s’inscrivant dans le cadre d’une collaboration médecin­/pharmacien.

photo d'un pharmacie parlant avec un patient

Parole d’experts

omedit

Hélène Eychenié, pharmacien responsable de l’OMEDIT Île-de-France
Marie-Line Gaubert Dahan, médecin hospitalier gériatre
Léa Boissinot, pharmacien hospitalier

Prise en charge médicamenteuse : la nécessaire évolution des pratiques

« Les conséquences médicales, sanitaires et économiques de la iatrogénie ne sont plus à présenter aux professionnels de santé. À ces dernières, il est essentiel d’ajouter l’impact environnemental d’une surconsommation médicamenteuse. L’OMEDIT Île-de-France est convaincu qu’une évolution des pratiques doit advenir pour améliorer la prescription, la dispensation et la consommation des médicaments. L’engagement de chaque acteur, patients et professionnels, est nécessaire pour conduire ce changement. Pour accompagner les professionnels, l’OMEDIT Île-de-France propose des outils portant sur l’implication du patient dans son parcours de soins (OMAGE®), sur le bon usage des médicaments et son efficience (Juste Prescription), ainsi que sur l’approche transversale des soins écoresponsables (Plan Health Faire®). Ces actions s’intègrent dans la démarche d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins. »

Aller plus loin

Si les efforts sont notables pour engager le système de santé français sur la voie de la sobriété médicamenteuse, du bon usage du médicament et de la pertinence des soins, il reste encore des paliers à franchir pour changer durablement les pratiques et les habitudes. Dans sa Convention d’objectifs et de gestion 2024­2028 signée avec l’État, l’ANSM propose de mettre en place un programme de travail interinstitutionnel sur la prévention du mésusage. Il s’appuiera notamment sur l’identification des produits les plus à risque de mésusage, comme les antibiotiques, les opioïdes ou certains dispositifs médicaux (DM), avec l’objectif de renforcer leur surveillance. Les études de pharmaco­épidémiologie vont continuer à être conduites pour quantifier et caractériser l’usage des produits de santé dans la population. L’ANSM souhaite aussi mener des travaux pour prévenir les risques de désinformation, entre autres sur les réseaux sociaux, mais également garantir une bonne information pour favoriser la confiance du public et des professionnels de santé dans la fiabilité et l’efficacité des produits de santé.

main d'un pharmacien tenant un médicament

Le pharmacien, un garant de la sobriété

Le pharmacien, à tous les stades du circuit du médicament, est un acteur clé pour contribuer au bon usage, à la sobriété médicamenteuse et à la réduction de l’empreinte carbone par une meilleure maîtrise des ressources disponibles. Gestion optimisée des besoins en eau, en énergie et en intrants sur les sites de production et chez les distributeurs en gros, stratégie bas carbone sur les équipements, les emballages et les conditions de transport, usage raisonné de certaines matières et/ou stratégies de substitution (plastique, aluminium…), adaptation des prescriptions, allongement des dates de péremption, réutilisation et recyclage, gestion écologique des déchets, utilisation d’énergie verte, traçabilité des informations… les initiatives sont multiples, démontrant la capacité de la profession à s’emparer du sujet et à modifier ses pratiques.

De la fabrication jusqu’à la dispensation, les pharmaciens ont pour mission d’assurer la sécurité du circuit du médicament. De ce fait, ceux­ci sont engagés dans la lutte contre la surconsommation de produits de santé.

L’éclairage de

Philippe Coatanea,
vice­-président du CNOP et pilote du groupe de travail transition écologique de l’Ordre

philippe coatanea

« Transition écologique : des travaux bien engagés »

« Parce que les enjeux environnementaux sont devenus incontournables, l’Ordre s’engage pleinement depuis 2023 dans l’accompagnement des pharmaciens sur le sujet de la transition écologique. Le groupe de travail dédié a pour objectif d’ancrer “le réflexe transition écologique” dans notre quotidien, à travers quatre axes : la consommation responsable, l’allongement de la durée de vie des produits, le tri et le recyclage, et l’écoconception des produits de santé. Il nous a semblé nécessaire d’ajouter un cinquième axe transversal, concernant les actions de formation à mettre en place en matière de transition écologique et les initiatives de formalisation des pratiques sous la forme de labels, certifications ou engagements des professionnels. Plusieurs pistes sont déjà bien avancées : la promotion des activités de pharmacie clinique pour une juste consommation des produits de santé, le déploiement de politiques d’achats responsables, une forte incitation à une distribution verte et durable, l’amélioration de l’approvisionnement en outre-mer, la diminution de la production de déchets liés aux produits de santé grâce à la réutilisation de DM et des emballages, la mise en place de nouveaux circuits de collecte… Outre ces objectifs à long terme, nous sommes très mobilisés pour sensibiliser toujours plus les pharmaciens sur ces enjeux, à travers diverses actions de communication, dont une nouvelle collection d’actualités “Le bon geste”, publiées dans la lettre électronique de l’Ordre, mettant en exergue des expériences de pharmaciens en matière de transition écologique, une page spécifique sur le site de l’Ordre, ou encore la mise à disposition, par le Cespharm, d’outils pratiques, par exemple sur les médicaments non utilisés (MNU) ou la gestion de déchets. Les différentes sections s’impliquent aujourd’hui sur cette thématique : la section H, représentant les pharmaciens des établissements de santé ou médicosociaux et des services d’incendie et de secours est partenaire de l’Agence nationale de la performance sanitaire et médicosociale (Anap) et du ministère pour le lancement d’appels à projets et l’organisation de webconférences, la section C, représentant les pharmaciens de la distribution en gros a rédigé une charte environnementale pour les pharmaciens de la distribution en gros... Continuons à partager les initiatives et à agir pour améliorer nos pratiques ! »

Faire évoluer les pratiques pour plus de sobriété

L’Ordre aux avant-postes

Inscrite dans sa feuille de route 2022­-2025, la transition écologique fait partie des travaux en cours au sein de l’Ordre national des pharmaciens. Un groupe de travail, constitué en avril 2023, émet des réflexions pour accompagner les pharmaciens de tous les métiers dans la transition écologique. Les axes de réflexion identifiés sont basés sur le principe de l’économie circulaire avec la promotion d’une juste consommation et gestion des produits de santé pour lutter contre la pollution et le gaspillage, la réduction et le traitement des déchets liés aux produits de santé, leur écoconception et l’allongement de la durée de vie de ces produits. L’ensemble des conseils centraux sont partie prenante de cette démarche, avec l’ambition de mettre à disposition de tous les pharmaciens les outils et ressources nécessaires pour s’engager dans des pratiques plus respectueuses de l’environnement.

industrie

Conception et fabrication des produits de santé

Chez les fabricants et exploitants, la politique de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est au cœur des enjeux de transformation des pratiques et des métiers. Les pharmaciens industriels sont en première ligne pour contribuer à l’évolution des modes de production. Ils travaillent notamment à l’écoconception des produits : il s’agit d’intégrer des préoccupations environnementales à toutes les phases de mise au point d’un médicament ou d’un produit de santé. Modalités d’extraction des matières premières, consommation raisonnée de l’eau et de l’énergie, utilisation de matières peu ou non polluantes, gestion des effluents et des déchets, recyclage… cette approche multicentrique s’appuie entre autres sur une analyse exhaustive du cycle de vie du produit. Deuxième chantier, les industriels s’attachent à concevoir des conditionnements écocompatibles, à impact réduit pour l’environnement. L’allongement de la durée de vie des produits est également une piste prometteuse, visant à réduire le gaspillage. Enfin, des messages de prévention sont insérés sur les emballages, dans le but de sensibiliser les publics fragiles (femmes enceintes, enfants…) aux risques de mésusage, par exemple.

biologiste médical
distribution

Optimisation des stocks

Chargés de garantir la continuité, la qualité et la sécurité des produits, les acteurs de la distribution pharmaceutique en gros jouent un rôle clé pour lutter contre le gaspillage des produits de santé. Les pharmaciens responsables sont particulièrement mobilisés sur l’organisation de la traçabilité intégrale des produits, tout au long de la chaîne et dans les établissements traitant les lots de produits. Ils assurent aussi des opérations strictement définies et codifiées, pour réaliser des contrôles qualité lors de la conservation et de la livraison des produits. Formés à l’analyse de risque, les pharmaciens doivent notamment anticiper les tensions d’approvisionnement et s’organiser pour gérer des flux complexes d’acheminement, comme l’approvisionnement en médicaments et produits de santé des départements et régions d’outre­mer ou la distribution de produits à température dirigée (+5 °C, –20 °C, –80 °C). Grâce à la méthode First Expired, First Out (FEFO), qui consiste à distribuer le médicament ayant la péremption la plus courte, les pharmaciens de la distribution en gros parviennent à optimiser les risques de péremption des médicaments et produits de santé. Enfin, l’optimisation des stocks passe parallèlement par la bonne gestion des retours, fondée sur le tri entre produits défaillants, médicaments non utilisés ou produits ayant dépassé les dates de péremption.

pictogrammes des sections

Gestion des médicaments et produits de santé : juste prescription et juste dispensation

En aval de la chaîne de fabrication et de dispensation, l’ensemble des pharmaciens, en contact avec les patients, ont à cœur de participer à la pertinence des soins et à la gestion plus sobre des médicaments et produits de santé. Juste prescription et juste dispensation sont les maîtres mots. La dispensation adaptée, intégrée à la Convention nationale pharmaceutique par son avenant n° 20, signé le 12 février 2020, a été expérimentée pendant deux ans. Elle avait pour objectif de permettre au pharmacien d’officine d’adapter la dispensation de traitements, dont la posologie peut varier, aux besoins thérapeutiques du patient, contribuant ainsi à renforcer le bon usage, l’observance, la lutte contre le gaspillage et la diminution du risque iatrogénique. D’autres outils existent, comme le bilan partagé de médication. Réservé aux plus de 65 ans atteints d’une ou plusieurs pathologies chroniques, il vise à évaluer l’observance et la tolérance des traitements, identifier les interactions médicamenteuses, analyser les risques de iatrogénie, vérifier les conditions de prise et le bon usage des médicaments. Le bilan partagé de médication peut être l’occasion d’alerter le médecin traitant sur la survenue d’effets indésirables ou d’interactions médicamenteuses, et de partager avec lui l’éventualité de supprimer des médicaments inutiles ou potentiellement dangereux. Chez les pharmaciens biologistes médicaux, plusieurs leviers peuvent être employés pour les impliquer dans la pertinence des soins et la lutte contre la surconsommation, comme le refus d’un examen jugé inutile sans besoin de l’accord du prescripteur, sauf en cas de mention particulière indiquée sur la prescription. Le biologiste médical a également le droit de modifier les prescriptions pour supprimer les examens de biologie médicale redondants ou non pertinents, lors de la revue de prescription prévue dans le cadre de ses responsabilités. Dans les établissements de santé et médicosociaux, les pharmaciens hospitaliers s’investissent fortement dans leur démarche RSE. Ils jouent un rôle majeur, à la fois dans leur pharmacie et au sein des équipes de soins. Les actions concrètes sont aussi diverses que variées : optimisation des approvisionnements à travers la maîtrise des flux logistiques externes et internes à l’établissement, sobriété dans l’utilisation de l’énergie, de l’eau et d’autres produits, par exemple en stérilisation, optimisation et adaptation des traitements par les activités menées en matière de pharmacie clinique, usage réfléchi des divers robots et automates en utilisant des matériels de conditionnement écoconçus, réemploi des MNU dans des conditions protocolisées, optimisation de l’utilisation des dispositifs médicaux stériles en blocs opératoires, tri accru des déchets…

Deux pharmaciens qui échangent

Une collaboration essentielle avec les acteurs de la chaîne de santé

Exigence transversale par essence, la sobriété pharmaceutique appelle à des modalités de collaboration entre tous les acteurs de la chaîne de santé. À l’échelle des territoires, dans le cadre des Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), ou d’autres structures collectives, le sujet doit être discuté, documenté, avec des décisions partagées pour une meilleure prise en charge des patients. Outre les pharmaciens, déjà appelés à prendre des initiatives pour adapter, modifier ou générer certaines prescriptions, d’autres professions, comme les infirmiers, les sages­femmes ou les masseurs kinésithérapeutes, peuvent participer à la démarche. La clé de cette collaboration doit être la transparence des actions, la codécision lorsqu’elle est requise et, en toute situation, la recherche de l’adhésion du patient.

deux pharmaciens

Mot d’Ordre

Carine Wolf-Thal,
présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens

Carine Wolf Thal

« Par leur position clé dans le circuit du médicament et la promotion du juste soin, les pharmaciens sont, tous métiers confondus, des acteurs majeurs pour agir en faveur de la sobriété pharmaceutique et de la transition vers une santé décarbonée. L’Ordre s’est emparé de ce sujet avec détermination, en l’inscrivant en tête des priorités de son plan stratégique 2022-2026. De nombreux travaux sont en cours, visant à accompagner l’évolution des pratiques, la montée en compétences sur la bonne gestion des produits de santé et l’adaptation du modèle de valeur du circuit pharmaceutique. Pour y parvenir tous ensemble, nous pouvons nous appuyer sur des outils déjà existants, comme le Dossier Pharmaceutique, les dispositifs de communication et l’engagement du Cespharm. Enjeu transversal par essence, le juste médicament pour le bon soin au bon patient demeure la règle d’or de nos actions. »

Limiter la surconsommation de médicaments et de produits de santé : des initiatives dans chaque métier

OFFICINE

La pharmacie clinique pour lutter contre la polymédication

« Titulaire d’une pharmacie comprenant 14 employés, très engagé dans la coopération interprofessionnelle au sein d’une MSP et de la CPTS du territoire, je m’implique dans la pharmacie clinique pour contribuer à la sobriété pharmaceutique et à la transition écologique. Dans ce cadre, je réalise des bilans partagés de médication pour évaluer et, lorsque cela est possible, réduire la polymédication des personnes âgées. En concertation avec le patient, il m’arrive de suggérer au médecin de déprescrire un médicament potentiellement inapproprié ou qui entre en interaction avec d’autres. Nous organisons régulièrement avec les médecins de la MSP des réunions de concertation pluridisciplinaire, basées sur des cas cliniques observés afin d’améliorer les pratiques de prescription. Il est essentiel de poursuivre ces initiatives, de disposer d’outils adaptés à nos pratiques et d’associer plus étroitement les établissements de santé du territoire. »

Paul Lemarquis, pharmacien titulaire dans les Landes

BIOLOGIE MÉDICALE

Des leviers d’optimisation en biologie médicale

« Le Conseil central de la section G, représentant les pharmaciens biologistes médicaux de l’Ordre des pharmaciens travaille activement sur des thématiques liées à la sobriété pharmaceutique et à la transition écologique. Notre activité génère d’abord des déchets, qu’il faut bien gérer, notamment pour diminuer la part des effluents que nous rejetons par le biais de l’eau. Dans mon laboratoire, nous utilisons par exemple l’ozone depuis 2019 pour restituer de l’eau propre dans les circuits d’évacuation. Second enjeu, les biologistes jouent un rôle clé pour adapter les prescriptions d’analyse, en dialogue permanent avec les médecins prescripteurs. Cela fait partie de nos obligations de conseil. Enfin, j’évoquerai la participation efficiente des biologistes pour lutter contre l’antibiorésistance, entre autres grâce aux antibiogrammes ciblés diffusés aux prescripteurs. Dans le cadre de nos missions, nous nous appuyons sur les recommandations émises par la HAS concernant la réduction de durée d’antibiothérapie pour certaines infections. C’est un bon exemple de la sobriété pharmaceutique au service de la santé publique : cela permet de diminuer les risques d’antibiorésistance chez les patients, tout en réduisant l’impact écologique de la filière de production. »

Gisèle Gay, membre du Conseil central de la section G, représentant les pharmaciens biologistes médicaux

HÔPITAL

La transformation écologique doit être systémique

« Pionnier de la transition écologique à l’hôpital, le CHU de Clermont-Ferrand place cet enjeu au cœur de son projet d’établissement, avec l’objectif d’y associer l’ensemble des métiers et fonctions, d’analyser l’empreinte carbone et les moyens de la diminuer pour les actes et gestes de soins qui ont le plus d’impact, et d’orienter nos stratégies d’achat dans ce sens. Les pharmaciens des pharmacies à usage intérieur (PUI) sont des artisans essentiels de ce mouvement, travaillant en collaboration avec les soignants pour faire évoluer les pratiques. Beaucoup de changements de procédures, en apparence simples, peuvent être réfléchis ensemble afin d’accompagner la transition écologique. Je prendrai deux exemples dans notre CHU. Nous avons supprimé les plateaux d’anesthésie stériles en plastique pour les remplacer par des plateaux en inox réutilisables et simplement médicalement propres. Huit mille euros d’économies ont pu être dégagés, ainsi que 324 kilos de déchets évités par an, sans oublier une baisse du coût des commandes et une économie d’emplacement pour les palettes. Autre initiative, nous avons substitué aux DM à usage unique pour les accouchements des instruments stérilisables et réutilisables. La réduction d’impact environnemental sur tous les indicateurs est conséquente. »

Valérie Sautou, directrice de la Transformation écologique, CHU de Clermont-Ferrand (63)

INDUSTRIE

Une action globale pour préserver l’environnement

Membre du Conseil central de la section B, je suis également pharmacien responsable dans un laboratoire pharmaceutique. Notre Groupe porte une stratégie globale destinée à protéger la planète. Nos objectifs sont alignés sur la trajectoire tracée par l’Accord de Paris. À titre d’exemples, on peut citer la réduction de 50 % de nos émissions GES en 2030 et 90 % en 2045, 100 % d’énergie renouvelable et 100 % de bonne gestion de l’eau dès 2025. Sur nos sites industriels français, c’est l’addition des actions qui permet de progresser : zéro papier, emballages de médicaments en carton recyclé, réduction des conditionnements, traitement à 100 % des eaux usées, remplacement du carbone et des gaz polluants par des matières écocompatibles pour notre filière santé respiratoire, écoconception des médicaments avec une gestion optimisée des ressources en eau et en énergie… Tout est coordonné pour progresser tout en préservant la qualité et la sécurité des produits.

Pascale Gerbaud-Anglade, membre du Conseil central de la section B, représentant les pharmaciens de l’industrie

DISTRIBUTION EN GROS

La distribution en gros, un maillon clé pour un approvisionnement responsable

Les pharmaciens responsables de la distribution en gros sont pleinement investis dans la gestion efficiente des médicaments et produits de santé, avec l’objectif d’optimiser la disponibilité et de livrer dans les temps, permettant ainsi de limiter les risques de surstock. Nous sommes très attentifs à la gestion de nos stocks. Pour éviter les pertes, nous commandons le juste besoin et nous stockons dans les conditions garantissant l’intégrité des produits. Chaque produit cassé est analysé pour éradiquer les causes, et nous pratiquons le FEFO pour maîtriser les risques de péremption. Les retours sont étudiés très attentivement, dans le strict respect de la réglementation, afin de remettre en stock les produits quand cela est possible, tout en assurant leur intégrité et leur qualité. Concernant les modalités de livraison, le chargement des véhicules est optimisé et les itinéraires sont étudiés de façon à réduire les kilomètres parcourus et les temps de livraison. En optimisant les tournées, nous diminuons la consommation de carburant et, par conséquent, les émissions de CO2. En outre, quand les distances parcourues le permettent, les entreprises investissent dans des véhicules électriques ou hybrides.

Véronique Jung, membre du Conseil central de la section C, représentant les pharmaciens de la distribution en gros