Le rôle des pharmaciens est fondamental, parce qu’ils permettent de mailler le territoire et constituent des sentinelles de vigilance indispensables face aux virus, tels que les arboviroses. Dengue, chikungunya, Zika… ces maladies imposent une vigilance accrue et une information claire auprès du public. Emmanuel Brochot, pharmacien biologiste, et Muriel Vincent, épidémiologiste chez Santé publique France à la Réunion, reviennent sur l’épidémie de dengue qui a touché La Réunion et sur les enseignements à en tirer pour la profession.

Quelles sont les principales arboviroses qui sévissent sur le territoire de La Réunion ?

Muriel Vincent : Essentiellement la dengue et le chikungunya, qui surviennent en règle générale durant la saison des pluies, entre fin octobre et début mars. Ce sont des maladies infectieuses dues à des arbovirus, qui se transmettent principalement par des piqûres de moustiques Aedes, dont le fameux moustique tigre. Nous avons connu deux épidémies majeures, en 2005 et 2006 pour le chikungunya, et entre 2018 et 2021 pour la dengue. Mais des cas sporadiques de dengue sont également observés. Et, dans un contexte de recrudescence mondiale (surtout en Amérique du Sud), nous avons vu revenir, depuis août 2024, le chikungunya sur notre territoire. Environ 50 000 cas ont été biologiquement répertoriés, et près de 200 000 personnes ont probablement été infectées.

Emmanuel Brochot : La surveillance et l’anticipation de ces arboviroses sont essentielles, car elles peuvent provoquer de graves problèmes de santé pour les personnes touchées. En vingt ans, des progrès importants ont été réalisés, notamment concernant la rapidité du diagnostic biologique. Ainsi, pour le chikungunya, tout a changé entre l’épidémie de 2005-2006 et celle de 2024-2025. À l’époque, nous devions nous contenter d’un diagnostic sérologique rétrospectif, car il fallait plusieurs semaines pour obtenir le résultat. Aujourd’hui, grâce à la PCR effectuée sur notre plateau technique, le résultat est obtenu entre 24 à 48 heures, dès les premiers signes cliniques. Associé à la transmission dématérialisée des cas en temps réel à l’agence régionale de santé (ARS), ce court délai de rendu des résultats permet d’organiser la riposte pour tenter de maîtriser l’épidémie.

L’enjeu est de bien coordonner la réponse collective pour diminuer l’impact de la pathologie. Comment vous organisez-vous à La Réunion ?

M. V. : La réactivité de l’ensemble des parties prenantes est en effet la clé pour tenter de gagner la course contre le risque d’épidémie. Dès qu’un cas est avéré, il est télétransmis à l’ARS, qui organise la venue d’une équipe spécialisée au domicile, afin de démoustiquer la zone. Une surveillance sanitaire renforcée est mise en place pour pouvoir détecter au plus tôt d’autres cas éventuels. Et les campagnes de prévention saisonnières sont également majeures, pour sensibiliser la population et recommander la suppression des points d’eaux dormantes, là où se reproduit traditionnellement le moustique.

E. B. : Nous avons beaucoup appris des précédentes épidémies, dont celles de la dengue et de la pandémie Covid-19. Les professionnels de santé de proximité se sont organisés pour la surveillance des patients, la détection des aggravations éventuelles et l’orientation au bon moment vers des services hospitaliers spécialisés en cas de besoin.

Quel rôle jouent les pharmaciens pour lutter contre les arboviroses ?

M. V. : Le rôle des pharmaciens est fondamental, parce qu’ils permettent de mailler le territoire et constituent des sentinelles de vigilance indispensables pour faire remonter les informations. Ils ont la confiance de la population, participent à la sensibilisation de leur patientèle et sont amenés à assurer de nouvelles missions.

E. B. : Outre la présence de mes confrères officinaux auprès de la population, l’ensemble des pharmaciens jouent un rôle clé dans le dépistage et le diagnostic. En cas d’épidémie, les laboratoires se coordonnent pour garantir la fiabilité et la rapidité des tests diagnostiques, avec, par exemple, des plages horaires élargies. Et ils sont en contact permanent avec les autorités pour contribuer à la cartographie en temps réel de l’épidémie. Enfin, depuis les épidémies successives de dengue et la pandémie de Covid-19, nous sommes bien équipés en automates de PCR dédiés à l’extraction et à l’amplification du génome infectieux, ce qui nous permet d’échapper aux tensions d’approvisionnement que nous connaissons malheureusement dans les territoires d’outre-mer.