Délivrance à l’unité : la Cour des comptes publie son rapport
Interrogée par des citoyens sur la dispensation à l’unité (DAU) des médicaments, la Cour des comptes vient de publier un rapport proposant de ne l’étendre que dans certaines situations.
Le modèle français de dispensation, fondé sur la délivrance à la boîte et non à l’unité comme dans certains pays, fait débat depuis plusieurs années. Les partisans de la dispensation à l’unité y voient une source possible de lutte contre le gaspillage – lié à des excédents de doses par rapport aux traitements prescrits – avec, à la clé, des économies pour l’Assurance maladie. La DAU pourrait aussi limiter les risques sanitaires de mésusage ou d’automédication, avoir un impact environnemental bénéfique du fait des médicaments non utilisés et pas toujours recyclés, et devenir un levier de lutte contre les ruptures d’approvisionnement.
Saisie par des interrogations exprimées sur sa plateforme citoyenne, la Cour des comptes a consacré à ce sujet un rapport publié le 7 novembre 2025, intitulé « La délivrance à l’unité des médicaments : une pratique à développer de manière sélective ». Elle y fait une analyse complète et objectivée des pratiques et impacts de la DAU en France et à l’étranger, détaille les limites de sa généralisation et formule neuf recommandations.
Une pratique déjà encadrée dans certains cas
Les magistrats soulignent en préambule que la DAU existe déjà, et qu’elle est même généralisée dans les établissements de santé. En ville, elle est obligatoire pour la vente de médicaments stupéfiants et, depuis 2024, pour les produits soumis à des difficultés d'approvisionnement, comme cela a été le cas pour l'antipsychotique quétiapine au printemps 2025.
Ce mode de délivrance est par ailleurs autorisé depuis 2022 pour les antibiotiques sous certaines conditions, afin de lutter contre le gaspillage et l'antibiorésistance. Il reste toutefois marginal en ville, où il n’a représenté que 0,08 % des dépenses de médicaments délivrés en 2024.
Une généralisation inenvisageable
Tout en soulignant les nombreux avantages de ce mode de dispensation (juste prescription, lutte contre le gaspillage, impact environnemental mieux maîtrisé), la Cour des comptes estime cependant que sa généralisation n’est pas envisageable. Elle cite notamment les risques « sur les plans organisationnels, financiers et humains d’une mutation du régime de délivrance à la boîte en vigueur en France vers un régime de DAU ». Souvent évoqué comme exemple, le modèle néerlandais – qui existe « depuis l'origine du système de protection sociale » de l'État – repose sur une organisation différente du réseau, permettant notamment aux officines de sous-traiter une grande partie des activités de manipulation (préparation des piluliers par les officines pour les patients…) à des pharmacies pivots pour les traitements chroniques.
Des coûts importants
L’avis prudent de la Cour des comptes est en phase avec les observations régulièrement formulées par les pharmaciens et leurs organisations représentatives, dont l’Ordre national des pharmaciens. La délivrance générale à l’unité nécessiterait une profonde mutation de la chaîne de production et de distribution des médicaments et produits de santé. Outre l’ajustement des chaînes de production industrielle, elle entraînerait une profonde réorganisation de la pratique officinale.
La Cour des comptes évalue une augmentation de + 5 à + 10 % des moyens humains nécessaires à la DAU. Un objectif qui paraît inatteignable, au vu des difficultés croissantes des officines en matière de recrutement de personnels qualifiés. Et les conséquences financières pourraient être négatives pour le modèle économique des officines, comme pour l’efficience attendue de la DAU par l’Assurance maladie.
Vers une dispensation mieux encadrée
Le rapport suggère néanmoins des pistes pour élargir la pratique de la dispensation en ville, en la facilitant et en la sécurisant sur les plans réglementaire et tarifaire, « dans une logique d’ensemble visant à réduire la consommation de médicaments ».
La Cour des comptes propose ainsi que la préparation des doses à administrer (PDA), réalisée par les pharmaciens d’officine, soit juridiquement et d’un point de vue tarification encadrée par les pouvoirs publics. Elle se prononce pour l’expérimentation en 2026 « d’un régime de mutualisation ou de sous-traitance de la PDA, pour améliorer le suivi des traitements chroniques par les officines de proximité », ainsi que pour la déclaration par les officines aux agences régionales de santé (ARS) de l’activité de PDA automatisée.
Le texte recommande par ailleurs :
- de fonder, d’ici à la fin de 2027, la rémunération officinale de la délivrance de médicaments (honoraires) sur l’acte de dispensation au patient, indépendamment du nombre de boîtes vendues ;
- d’instituer, d’ici à la fin 2027, une tarification (marge et honoraires) du médicament à l’unité pour la vente au public, indépendante et complémentaire de la tarification à la boîte.
Dans l’intérêt du patient
Si la généralisation de la DAU n’est pas présentée comme envisageable, la Cour des comptes est en revanche favorable à l’expérimentation de ce modèle lorsqu’il apporte un bénéfice pour la prise en charge thérapeutique des patients.
C’est le cas, par exemple, pour le développement de la PDA destinée aux patients pluripathologiques, à condition qu’elle favorise l’observance des patients et la réduction du gaspillage. Cependant, de telles évolutions, appelées à faire émerger des opérateurs industrialisés de PDA, devront être compatibles avec le maintien d’une relation de proximité de qualité entre les patients et les officines.
Enfin, la Cour des comptes plaide pour l’intégration de la question des conditionnements dans les négociations tarifaires des produits, ainsi que pour l’analyse des écarts entre quantités prescrites et quantités délivrées, grâce à l’ordonnance numérique.
En savoir plus :
- La délivrance à l’unité des médicaments : une pratique à développer de manière sélective (rapport de la Cour des comptes, novembre 2025)