Les pharmaciens d'officine participent depuis toujours à la diversité et à la richesse de la vie quotidienne de notre pays et sont au rendez-vous du progrès technologique, éthique et humain. En tant que professionnels de santé, ils bénéficient d'un exceptionnel capital de confiance de la part des patients/consommateurs, qui les considèrent comme une ressource de premier recours pour leur santé. En tant que professionnels commerciaux indépendants, ils font vivre un réseau de 22.000 TPE de proximité, pôles d'attraction et d'animation au sein de leur communauté locale. Aujourd'hui deux politiques contradictoires sont proposées : Une politique de santé qui repose sur la proximité, allant jusqu'à expérimenter la délivrance de médicaments à l'unité, et une politique de consommation qui détruira la proximité. Ces deux politiques ne peuvent être menées simultanément. Les Français consomment trop de médicaments. L'objectif de santé, c'est la décroissance, non la croissance. Ce n'est pas une grande surface qui va dire : consommez moins ! Que l'on nous explique ce que serait un pharmacien non indépendant, subordonné d'un marchand soucieux de têtes de gondole, de promotions et de déstockage ! Chacun, tout comme les pharmaciens, a bien connaissance et conscience des potentiels risques et travers de tout monopole ou oligopole et reconnait la valeur positive de la concurrence. Les pharmaciens d'officine sont en situation de concurrence, adaptés au contexte économique et aux règles du marché. Ils concilient avec justesse les aspects concurrentiels et déontologiques. Le prix moyen d'une spécialité en automédication atteint 4,5 euros en moyenne en France pour une moyenne de 5,2 euros dans l'ensemble de 8 pays étudiés : Allemagne (8,9 euros), Belgique (8 euros), Pays-Bas (4,9 euros), Espagne (6,3 euros), Italie (7,8 euros), Suède (6,1 euros) et Royaume-Uni (3 euros) (Baromètre AFIPA 2013). Dans le même temps faut-il rappeler que l'Etat, a quant à lui, quasiment doublé le taux de TVA en 3 ans sur les médicaments non remboursés ? (Le 1er janvier 2014, la Loi de finances, entre autres, a porté le taux de TVA des médicaments non remboursables de 7 à 10%, taux déjà porté de 5,5% à 7% en 2011). L'ouverture du monopole des pharmacies est incompatible avec le maintien d'une indépendance nécessaire à la dispensation de médicaments. Sur le plan européen, la Cour de justice a tranché (1). Elle a considéré que les règles de détention des officines par les seuls pharmaciens étaient justifiées. Elle a reconnu qu'aucun autre dispositif ne permettait d'obtenir le même niveau de protection de la santé publique. Comme dans 13 autres Etats membres de l'UE, les pouvoirs publics français ont jusqu'ici toujours choisi l'indépendance du pharmacien comme garantie ultime, lorsque le patient achète des médicaments. Le seul diplôme de docteur en pharmacie ne suffit pas en soi à garantir cette indépendance. La structure dans laquelle intervient le pharmacien est tout aussi essentielle : elle doit garantir son indépendance. Les pharmaciens français doivent être propriétaires de leurs officines. Les pharmaciens adjoints qui travaillent dans ces officines ont un lien de subordination avec un professionnel de santé et non avec un dirigeant dont la logique exclusive est de réaliser du chiffre d'affaires... à tout prix, ou avec des actionnaires dont la logique exclusive est de recevoir des dividendes. Madame la ministre des Affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine, sait qu'elle peut compter sur les pharmaciens pour améliorer l'efficience du système de santé. Les pharmacies d'officine sont déjà un acteur majeur des économies de santé: en assurant la conversion progressive des médicaments princeps au profit des génériques, en mettant en oeuvre le tiers payant généralisé (transfert de la charge administrative vers les pharmaciens : une feuille électronique de soins c'est quelques centimes d'euros de traitement. Une feuille papier c'est plus qu'un euro !), en déployant le dossier pharmaceutique, autofinancé, pour lutter contre la redondance des traitements et l'iatrogénie. Mettre en péril le réseau des officines, qui s'est doté des outils les plus modernes pour répondre aux besoins de la population, c'est de fait menacer l'exercice libéral de proximité de l'ensemble des professionnels de santé. Cette responsabilité-là, aucun ministre de la République ne peut la prendre. Le réseau de proximité du patient constitue le maillage de santé fondamental des Français : médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens d'officine, infirmiers, et autres professionnels de santé: des professionnels de haute compétence, modernes, proches les uns des autres, proches des patients qui sont leurs voisins, qu'ils connaissent et conseillent personnellement dans un souci prioritaire constant de santé publique ! Sans proximité, qui sera en charge des personnes en sortie d'hôpital, des personnes âgées de plus en plus nombreuses, des futures mères et jeunes parents, des patients atteints de pathologies chroniques, des accidents de vie quotidiens ? Qui sera garant des économies demandées au monde hospitalier à la faveur de sorties plus rapides des patients pour des soins à domicile et en ambulatoire, sinon les professionnels de santé libéraux de proximité, dont les pharmaciens d'officine font partie ? Compétence, proximité et indépendance... La protection de ces valeurs ne constitue pas pour les pharmaciens une rente de situation, inutile, voire nuisible, au regard de l'intérêt général. Le monopole des pharmaciens est une délégation de service public dans le domaine sanitaire. Il est une responsabilité et une somme de devoirs professionnels. L'Ordre est là pour le rappeler si besoin. A l'heure ou une pharmacie disparaît tous les trois jours, voire cette année tous les deux jours, et à l'heure où la France devra faire face au vieillissement de sa population, ne détruisons pas la proximité de l'exercice libéral des professionnels de santé dont font partie les pharmaciens d'officine. Ne détruisons pas la proximité humaine. Notre société a besoin de ce lien social. Mettons plutôt à profit le potentiel des compétences des pharmaciens. Ils sont prêts à s'engager dans des voies nouvelles et à contribuer pleinement à répondre aux enjeux de notre système de santé. (1) Pour le juge européen les pharmaciens sont associés "à une politique générale de santé publique, largement incompatible avec une logique purement commerciale, propre aux sociétés de capitaux, directement orientée vers la rentabilité et le profit. Le caractère spécifique de la mission confiée au pharmacien impose donc de reconnaître et de garantir au professionnel l'indépendance nécessaire à la nature de sa fonction" (CJUE, 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes aff. C-171/07, conclusions point 52).