Cahier thématique n°20 - Lutte contre l’antibiorésistance, tous engagés
03. LES PHARMACIENS ENGAGÉS DANS LA LUTTE CONTRE L'ANTIBIORÉSISTANCE
Les biologistes médicaux - Identifier, évaluer et orienter vers les traitements les plus adaptés
13/07/2022

Intégrer les innovations scientifiques pour optimiser les traitements
La stratégie nationale encourage un large recours à des méthodes plus rapides ou plus adaptées afin de promouvoir la juste utilisation des antibiotiques. C’est notamment le cas des antibiogrammes ciblés qui permettent de ne donner les résultats que d’une partie des antibiotiques testés : ceux qui sont à utiliser en première intention. Les examens cytobactériologiques des urines (ECBU) positifs aux entérobactéries génèrent la majorité des antibiogrammes effectués en ville (voir l’article). Les biologistes médicaux vont donc intégrer progressivement, dans leurs automates pour la réalisation d’antibiogrammes, l’arbre décisionnel proposé par les sociétés savantes et en cours de labellisation par la Haute Autorité de santé (HAS), pour le rendu des résultats d’ECBU aux prescripteurs (45).
Autre avancée, le recours aux systèmes de détection rapide tels que la PCR simplex ou multiplex.
Il existe plusieurs panels de PCR, en fonction du site de prélèvement (nasopharyngé, bronchique, fécal, site profond…), qui permettent de disposer de l’identification de germes résistants, souvent en moins d’une demi-heure, alors qu’auparavant cela pouvait prendre plusieurs jours. Leur utilisation s’avère donc précieuse en ville, en Ehpad ou aux urgences, mais elle reste à rationaliser en matière d’indication ou de coût.
Enfin, s’affranchir de la catégorie « sensibilité intermédiaire » dans le rendu des antibiogrammes est un défi que les biologistes entendent relever, en s’appuyant sur les référentiels français du Comité de l’antibiogramme de la société française de microbiologie (CA-SFM), et du Comité européen de l’Eucast (46). Ces propositions, pour fixer les concentrations critiques cliniques des antibiotiques, sont devenues de plus en plus complexes ces dernières années, mais elles ont aussi gagné en pertinence.
(45) Antibiogrammes ciblés pour les infections urinaires à entérobactéries. Note de cadrage de la HAS – 10 mars 2021.
(46) The European Committee of Antimicrobial Susceptibility Testing.
Mettre à disposition des indicateurs épidémiologiques pertinents
À partir des données recueillies par les laboratoires de biologie médicale (LBM), des indicateurs ont progressivement été mis en place au niveau national, afin de mesurer et de suivre l’évolution de l’antibiorésistance dans l’ensemble des secteurs de l’offre de soins.
-> En ville et en établissements médicosociaux
Les données sont saisies par les LBM de ville dans le e-outil MedQual-Ville. Leur mobilisation a permis de faire fortement progresser la couverture nationale, qui était de 1 311 laboratoires participants dans les 13 régions métropolitaines, ainsi qu’à la Martinique en 2020. Sont collectées les données d’antibiogramme avec les caractéristiques du patient et, le cas échéant, le phénotype de résistance aux bêta-lactamines. L’outil MedQual-Ville permet ainsi le suivi des sensibilités et des résistances bactériennes en ville et en Ehpad : Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae, Enterobacter cloacae complex et Staphylococcus aureus. Cette collecte est réalisée et expertisée selon les recommandations du CA-SFM (47) et fait l’objet d’une analyse annuelle dans le cadre de la mission PRIMO (voir l’article).
(47) Recommandations EUCAST/CA-SFM V.1.0 – Avril 2021.
-> En secteur hospitalier
Toujours sur la base du volontariat, les données de résistance bactérienne sont recueillies pour toutes les souches isolées de prélèvements à visée diagnostique et ayant fait l’objet d’un antibiogramme, selon la méthodologie de la mission nationale SPARES : soit, en 2020, des données issues de plus de 1 000 établissements de santé de tous types, représentant plus de la moitié des journées d’hospitalisation de l’année en France (voir l’article).
Développer les interactions avec les différents acteurs de la lutte contre l’antibiorésistance
Le biologiste médical doit pouvoir accompagner le prescripteur pour :
- les conditions de prélèvement (en fonction du site de l’infection, du matériel utilisé, du mode de conservation et de transport) ;
- le choix d’éventuels examens complémentaires à réaliser ;
- l’interprétation des résultats, et le conseil pour la prescription d’un antibiotique adéquat ;
- la nécessité éventuelle d’adapter le traitement, lors de sa réévaluation à 48-72 heures.
Si, en ville, cette interaction pour la mise en place et le suivi du traitement est relativement simple à mettre en œuvre, à l’hôpital, elle peut s’avérer plus complexe du fait des risques plus élevés. C’est ainsi que le biologiste médical peut être amené à partager son expertise au sein des équipes multidisciplinaires en antibiothérapie (EMA), avec les équipes opérationnelles d’hygiène (EOH), ou les autres intervenants de la lutte contre l’antibiorésistance.
Enfin, au sein de chaque laboratoire, un biologiste peut apporter aux patients un éclairage sur les résultats de leurs examens bactériologiques et la conduite à tenir.
Les données scientifiques les plus récentes pour mieux aiguiller le prescripteur
Schahine Maachi-Benelmouloud,
pharmacien biologiste médical à Paris, conseiller ordinal de la section G (représentant les pharmaciens biologistes médicaux)
En suivant, ces dernières années, les évaluations faites par le Comité français d’accréditation (Cofrac),
on peut apprécier l’un des rôles des biologistes médicaux, qui, pour la plupart, ont su parfaitement intégrer les recommandations claires et uniformisées en vigueur. Celles-ci sont régulièrement mises à jour.
Ce sont des éléments essentiels pour que les prescripteurs puissent donner le bon antibiotique, au bon moment, pour la bonne durée.
Travailler en étroite collaboration avec les équipes de soins
Hervé Jacquier,
pharmacien biologiste médical, praticien hospitalier (PH) au groupe hospitalier Saint-Louis, Lariboisière, Fernand-Widal, et maître de conférences des universités à la faculté de médecine Paris-Diderot

La détection d’une résistance en établissements de santé doit prendre en compte de nombreux paramètres. Par exemple, la notion de portage est essentielle pour les deux types de germes multirésistants les plus fréquemment rencontrés : les SARM (48) et les ESBL (49).
Les microbiotes nasopharyngé et cutané pour les premiers, entéral pour les seconds, expliquent que
c’est d’abord chez le patient lui-même que se développe une résistance. On pense trop souvent que l’on “attrape” une infection nosocomiale à l’hôpital, alors que le germe peut déjà être présent en y arrivant ! Dans nos échanges avec les cliniciens, nous devons donc nous efforcer d’éviter le risque de passer d’une résistance nosocomiale à un problème communautaire. Autre exemple, celui encore plus redoutable des EPC (50), dont on estime que, dans la moitié des cas, elles circulent à bas bruit : les biologistes apportent leur expertise microbiologique aux équipes d’hygiène pour leur prévention, car la survenue de plusieurs cas dans un secteur de soins peut entraîner sa fermeture.
(48) Staphylococcus aureus (staphylocoques dorés) résistants à la méticilline (SARM).
(49) Bactéries productrices de béta-lactamases à spectre élargi (ESBL ou BLSE).
(50) Entérobactéries productrices de carbapénémases (EPC).
Outre-mer : étendre la lutte contre les résistances à tous les antimicrobiens
Des différences importantes dans l’épidémiologie des résistances bactériennes sont observées d’une région à l’autre de la métropole et, a fortiori, dans les départements ou territoires ultramarins. Par exemple, la résistance du bacille de Koch aux antituberculeux peut présenter localement une progression préoccupante.
De même, la résistance à d’autres antimicrobiens (antipaludiques, antiviraux) fait l’objet d’attentions particulières, en fonction de la situation du territoire concerné et en ligne avec les recommandations de l’OMS (voir l’article).
Une surveillance permanente pour une utilisation plus rationnelle des antimicrobiens
Lise Musset,
pharmacien biologiste médical en Guyane, responsable du Centre national de référence (CNR) paludisme pour les zones endémiques françaises, et conseiller ordinal de la section E (représentant les pharmaciens exerçant en outre-mer)

L’institut Pasteur de la Guyane, au-delà des missions menées par ses équipes de recherche, assure des activités de santé publique visant à optimiser l’utilisation des antimicrobiens.
Il réalise ainsi les suivis de la résistance aux antituberculeux et aux antirétroviraux pour le VIH (suivi individuel). Mon équipe, qui est aussi centre collaborateur de l’OMS pour la surveillance des résistances, évalue quant à elle la sensibilité des plasmodies (parasites responsables du paludisme) à 11 molécules, depuis près de quarante ans. Ce suivi montre que, comme les bactéries, les parasites s’adaptent systématiquement aux pressions exercées par les traitements, nécessitant donc une vigilance constante.
En faisant appel à des méthodes de biologie moléculaire et de culture cellulaire, nous avons pu identifier chez certaines souches de Plasmodium falciparum, les gènes impliqués dans l’apparition de ces résistances et l’évolution des mutations associées au fil du temps. Ces résultats ouvrent de nouvelles pistes de recherche sur la compréhension et la lutte contre les résistances en général.