Cahier thématique n°21 - Les pharmaciens et le défi du grand âge
01. GRAND ÂGE ET SANTÉ : CONTEXTE ET ENJEUX
La santé du grand âge
17/04/2023

Le déclin fonctionnel lié à l’avancée en âge résulte de trois phénomènes concourants :
le vieillissement biologique, les comportements de santé à risque (tabac, alcool, alimentation déséquilibrée, sédentarité) et l’atteinte par une ou plusieurs maladies chroniques.
L’accumulation de ces pathologies entraîne un risque important de iatrogénie par polymédication. Dans tous les cas, il est important de repérer le plus précocement possible les pertes de fonctionnalité, avant qu’elles ne soient irréversibles et qu’elles ne conduisent à la dépendance.
La fragilité : un état potentiellement réversible
La Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG) a adopté en 2011 la définition suivante de la fragilité : « La fragilité est un syndrome clinique. Il reflète une diminution des capacités physiologiques de réserve qui altère les mécanismes d’adaptation au stress. Son expression clinique est modulée par les comorbidités et des facteurs psychologiques, sociaux, économiques et comportementaux. Le syndrome de fragilité est un marqueur de risque de mortalité et d’événements péjoratifs, notamment d’incapacités, de chutes, d’hospitalisation et d’entrée en institution. L’âge est un déterminant majeur de fragilité, mais il n’explique pas à lui seul ce syndrome. La prise en charge des déterminants de la fragilité peut réduire ou retarder ses conséquences. Ainsi, la fragilité s’inscrirait dans un processus potentiellement réversible. »
La réduction de la mobilité
Avec l’âge, la masse et la force musculaire diminuent progressivement, induisant, au-delà d’un certain seuil, une sarcopénie (diminution des capacités musculaires). Sa prévention repose sur l’exercice physique et l’équilibre nutritionnel.
Au niveau des os, la déminéralisation et la fragilité osseuse (ostéopénie pouvant évoluer vers une ostéoporose) qui en découle sont à l’origine de nombreuses fractures : poignet, humérus, tassements vertébraux… La fracture de hanche (ou fracture de la partie proximale du fémur) est la plus redoutable, car elle est une cause majeure d’hospitalisation, de perte d’autonomie et de mortalité des personnes âgées (50 000 cas de fracture de hanche par an chez les femmes et 16 000 chez les hommes – encadré Un plan national). Le dépistage de l’ostéoporose est particulièrement nécessaire chez les femmes post-ménopausées.
Toujours au niveau du squelette, l’affaiblissement du tissu cartilagineux par raréfaction des chondrocytes participe à la progression de l’arthrose dans ses multiples localisations. Les microtraumatismes (consécutifs, par exemple, à certaines pratiques sportives ou professionnelles), l’obésité et la prédisposition génétique (6) sont des facteurs favorisants. C’est au niveau de la hanche et du genou que le retentissement sur la mobilité est le plus important.
(6) Lacaze P et al. Genomic Risk Score for Advanced Osteoarthritis in Older Adults. Arthritis Rheumatol, 2022 ; 74 (9) : 1480-1487.
Les déficits sensoriels
Les troubles de la vision (presbytie, cataracte, DMLA) et de l’audition (presbyacousie, notamment) associés au vieillissement, non ou mal corrigés, peuvent conduire à un isolement social, contribuer au déclin cognitif et favoriser les accidents (chutes). Chirurgie et amélioration des conditions de remboursement de l’optique et des audioprothèses permettent de les pallier plus largement. Les déficits olfactifs et gustatifs peuvent altérer la qualité de vie (perte du plaisir de manger), entraîner une dénutrition, voire des erreurs alimentaires (ex. : excès de sel). On doit aussi être très attentif à la perte de sensation de soif et au risque de déshydratation qui en résulte.
Troubles du système nerveux central (SNC)
Le vieillissement cérébral entraîne une baisse des capacités cognitives et attentionnelles, des troubles du sommeil… Toutefois, ce sont surtout les maladies neurodégénératives – la maladie d’Alzheimer (MA) et les troubles neurocognitifs (TNC) apparentés (démence vasculaire, maladie à corps de Lewy, dégénérescence lobaire fronto-temporale) et la maladie de Parkinson (MP) – qui constituent un problème majeur de santé publique, car elles évoluent généralement vers une perte d’autonomie. En France, environ 900 000 personnes sont atteintes de la MA (7) et 200 000 de la MP (8).
En l’absence quasi totale de traitements médicamenteux (9), la prise en charge de la maladie d’Alzheimer repose sur un diagnostic précoce (multidisciplinaire) et la mise en place d’un plan de soins et d’aides (10) : stimulation cognitive, accompagnement psychiatrique et psychologique, orthophonie, ergothérapie, suivi des aidants naturels… le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a émis des recommandations sur la prévention de la maladie d’Alzheimer (11) (MA) : une alimentation équilibrée, une activité physique régulière, le maintien d’activités stimulantes intellectuellement, le dépistage précoce et la prise en charge d’une hypertension artérielle (HTA) ou d’un diabète sont notamment associés à une diminution du risque de survenue d’une MA.
(7) Haute Autorité de Santé - Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : diagnostiquer tôt pour mettre en place un parcours de soins et d’accompagnement adapté, 2020.
(8) Santé publique France. Bulletin épidémiologique hebdomadaire, avril 2018.
(9) Cummings J et al. Alzheimer’s disease drug development pipeline. Translational Research & Clinical Interventions 2021 ; 7 (1) : e12179.
(10) Haute Autorité de santé. Diagnostic et prise en charge de la maladie d’Alzheimer. Décembre 2011.
(11) Haut Conseil de santé publique. Prévention de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées. 22 décembre 2017.
Autres pathologies liées à l’avancée en âge
L’avancée en âge se caractérise également par l’apparition de maladies chroniques potentiellement pourvoyeuses d’incapacités et donc de dépendance, comme :
- les maladies cardiovasculaires : cardiopathies ischémiques, accidents vasculaires cérébraux, insuffisance cardiaque… Elles constituent une cause fréquente d’hospitalisation, de handicap et de décès ;
- la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) : principale cause d’insuffisance respiratoire chronique ;
- les cancers : ils représentent la première cause de mortalité chez les personnes âgées. Les plus fréquents, après 65 ans, concernent la prostate, le côlon-rectum, le poumon et le sein ;
- le diabète, dont les complications (cécité, amputation des membres inférieurs, insuffisance rénale chronique, pathologies cardio-neuro-vasculaires) peuvent avoir des répercussions importantes sur l’autonomie ;
- la dépression : elle expose la personne âgée à un déclin fonctionnel (cognitif et physique), des comorbidités et une mortalité plus élevée.
Polymédication et risque de iatrogénie médicamenteuse
L’accumulation de plusieurs maladies chroniques caractérise la santé de la population âgée. La polymédication, qui en découle, est source de iatrogénie médicamenteuse. Plus le nombre de médicaments est important, plus le risque d’effets indésirables augmente. S’y ajoutent les spécificités physiologiques du sujet âgé.
Sur le plan pharmacodynamique, l’altération du contrôle de la pression artérielle par l’organisme peut majorer les effets hypotenseurs de certains médicaments (antihypertenseurs, dérivés nitrés, psychotropes), nécessitant une instauration progressive du traitement et la prise en compte du risque de chutes.
Sur le plan pharmacocinétique, l’accumulation des médicaments liposolubles (benzodiazépines, par exemple) est favorisée par l’augmentation de la masse grasse. Chez les personnes dénutries, l’hypoalbuminémie augmente la fraction libre des médicaments à forte fixation protéique (AVK, AINS). Au niveau de l’excrétion, il est nécessaire de prendre en compte le débit de filtration glomérulaire (12) (DFG), qui diminue avec l’âge, pour adapter la posologie des médicaments à élimination rénale. En cas de DFG réduit, on sera particulièrement attentif à la prise des médicaments suivants : allopurinol, antiarythmiques, bêta-bloquants, digitaliques, diurétiques, antiagrégants plaquettaires, anticoagulants, anticancéreux, hypoglycémiants oraux, diurétiques, antalgiques opiacés, anxiolytiques, neuroleptiques et produits de contraste.
(12) Le DFG est généralement évalué par le dosage de la créatininémie, corrigé par le calcul CKD-EPI. Andrew S et al. A new equation to estimate glomerurar filtration rate. Ann Intern Med 2009 ; 150(9) : 604-12.
Des actions de prévention dès la mi-vie
De nombreuses études internationales soulignent l’association entre l’adoption
de comportements de santé favorables à la mi-vie et le vieillissement en bonne santé. Des consensus d’experts recommandent la mise en place d’actions de prévention dès 40 ans afin de prévenir les démences et retarder l’apparition des maladies chroniques entraînant une perte d’autonomie à l’âge avancé. Dans cette perspective, Santé publique France vient de mettre en place un programme intitulé « Santé 40 et + » visant à renforcer les actions de prévention dès la mi-vie*.
* Santé publique France. Enjeux sanitaires de l’avancée en âge : épidémiologie des maladies chroniques liées à la perte d’autonomie et surveillance de leurs déterminants à mi-vie.
Saint-Maurice, novembre 2022.
Les chiffres du grand Âge en France
4,8 millions de Français auront plus de 85 ans en 2050
2,2 millions de personnes en perte d’autonomie en 2050 (contre 1,3 million en 2017)
Sources : Drees, Comité consultatif national d’éthique, ateliers de la concertation
(dossier de presse Concertation grand âge et autonomie, mars 2019).
DÉMOGRAPHIE
Projection de population par grands groupes d’âge
Source : Insee, scénario central des projections de population 2021-2070.
Espérance de vie sans incapacité à 65 ans en 2020
Femmes
+ 25 mois depuis 2008
L’espérance de vie sans incapacité à 65 ans est de 12,1 ans en 2020
Hommes
+ 23 mois depuis 2008
L’espérance de vie sans incapacité à 65 ans est de 10,6 ans en 2020
Source : Insee.
PROBLÉMATIQUES DE SANTÉ
Les chutes
2 millions de chutes de personnes âgées de plus de 65 ans par an sont responsables de 10 000 décès et de plus de 130 000 hospitalisations. Près d’un quart de ces personnes décèdent dans l’année qui suit leur hospitalisation*.
La dénutrition
400 000 personnes âgées à domicile et 50 % des personnes âgées hospitalisées souffrent de dénutrition*.
Les pathologies cardio-vasculaires et les cancers
+ de 50 % des décès chez les sujets âgés sont liés à ces pathologies (26 % chacune)**.
Les effets indésirables médicamenteux
3,9 millions de personnes de plus de 65 ans sont polymédiquées, prenant au moins cinq traitements chroniques différents. La iatrogénie médicamenteuse est responsable d’environ 7 500 décès par an et de 3,4 % des hospitalisations chez les patients de 65 ans et plus***.
* Cour des comptes. La prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées. Paris, novembre 2021.
** Insee. Causes de décès des personnes âgées. Montrouge, décembre 2021.
*** Arrêté du 31 mars 2022 portant approbation de la Convention nationale organisant les rapports entre les pharmaciens titulaires d’officine et l’Assurance maladie. Annexe XI.
Regard d'expert
Sylvie Bonin-Guillaume,
professeure de gériatrie au CHU de Marseille et vice-présidente de la Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG)
Vieillir en santé
Je préfère la terminologie « vieillir en santé » à celle du « bien vieillir », souvent utilisée pour définir les objectifs de prise en charge du grand âge.
Le vieillissement est un processus physiologique naturel, pas une maladie.
Toutes les enquêtes réalisées auprès des personnes âgées montrent qu’elles ne souhaitent pas tant rajouter des années aux années que de les vivre au mieux, socialement, affectivement et, bien sûr, physiquement. C’est sur cet aspect que nous, professionnels de santé, devons porter nos efforts.
Lutter contre les préjugés tenaces
La crise de la Covid-19 les a révélés de façon criante. Nous avons constaté les conséquences, parfois dramatiques, de la limitation des contacts, de la surprotection au domicile comme en institution : perte de mobilité, anxiété, dépression avec l’impression d’être pestiféré. Lors du déconfinement, la situation sanitaire s’est certes stabilisée, mais bien des personnes âgées ont eu le sentiment de ne plus être considérées que comme des priorités de second ordre par rapport aux populations plus jeunes ! C’est une des raisons qui ont poussé la SFGG à lancer sa campagne « Tous contre l’âgisme ». Trop de professionnels de santé projettent encore leurs propres angoisses face au vieillissement et nous devons collectivement changer notre regard sur le grand âge.
Favoriser le rôle de sentinelle des pharmaciens
Environ neuf personnes âgées de plus de 75 ans sur dix sont atteintes d’au moins une pathologie chronique nécessitant la prise d’un traitement médicamenteux.
On voit immédiatement comment cela se traduit en nombre de contacts avec les pharmaciens,
qui sont largement supérieurs à ce que peuvent avoir les médecins traitants et, a fortiori, les spécialistes.
Ces contacts sont autant d’occasions de détecter un changement chez une personne : amaigrissement, défaut de compréhension (problème auditif ? trouble cognitif ?), hématomes (chutes ?), demande de renouvellement trop fréquent ou trop tardif ou encore perte de vue…
De même, il ne faut pas hésiter à interroger les proches qui viennent chercher les médicaments
à leur place.
La visite à domicile est une opportunité supplémentaire d’évaluer les évolutions, besoins, attentes, problèmes d’observance (coup d’œil à l’armoire à pharmacie !), sans sous-estimer ce qu’apporte le contact humain, souvent trop rare dans le quotidien d’une personne âgée.
Développer l’interprofessionnalité
Les marges de progrès sont importantes.
Tout d’abord via la sensibilisation et l’approfondissement des connaissances des professionnels. Il faut aussi améliorer notre communication et notre interconnexion autour des personnes âgées. Utilisons mieux les outils qui sont désormais à notre disposition : messageries sécurisées, Mon Espace Santé…
Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) peuvent être également un espace d’échange, aux côtés des aidants… ne serait-ce que pour savoir si eux-mêmes vont bien ou pour les rassurer.
Enfin, arrive un moment où, même avec la meilleure coordination possible, il peut être contreproductif de rajouter un traitement aux traitements existants, une aide aux autres aides.
Il faut alors mettre l’ensemble des problèmes
sur la table afin de les sérier : c’est le cœur de notre travail de gériatre, qui est complémentaire de celui des autres intervenants.
Dernier point, mais non le moindre, l’écoute et l’empathie dont nous devons faire preuve : tout changement dans la prise en charge doit être l’objet d’un temps d’explication et de compréhension. Là encore, le pharmacien, en ville comme en établissement de santé ou en laboratoire de biologie médicale (LBM), est un précieux relais d’information et de conseil.