Cahier thématique n°23 - IA en santé, entre promesses et prudence
01. IA en santé : définition, contexte et enjeux
Des exemples d’applications déjà en routine en santé
25/07/2024

L’IA pour prédire
L’IA est présente dans tous les domaines de la santé pour répondre à un objectif de prédiction ou de diagnostic. La première solution numérique prise en charge par l’Assurance maladie (en 2020) en est un exemple : il s’agit d’un outil se basant sur un algorithme qui aidait à prédire les risques de récidive de cancers à partir de l’analyse de symptômes signalés par les patients et d’une base de données permettant à l’IA de reconnaître les symptômes d’une rechute. Des outils « intelligents » de suivi, d’analyse à distance des symptômes et d’alerte dans le cadre de cancers, d’hépatites, de maladies rares, de troubles psychiatriques… se multiplient. Le projet PortrAIt de l’Institut Gustave-Roussy vise, par exemple, à personnaliser les traitements anticancéreux à un stade précoce. Mais l’usage le plus emblématique de l’IA dans le diagnostic est sans doute le développement d’outils d’analyse automatique d’imageries médicales qui permettent d’étudier les images plus rapidement et plus précisément.
L’IA pour suivre les patients
Dans le traitement direct et la e-surveillance des patients, prenons un exemple concret : celui qui consiste à créer une représentation numérique détaillée d’un individu, souvent appelée « jumeau numérique », afin de recommander des traitements adaptés à chaque patient en fonction de ses caractéristiques personnelles. Citons également la télésurveillance de l’état dentaire des patients, ainsi que celle des plaies, grâce à une analyse algorithmique permettant éventuellement d’alerter le professionnel de santé de leur dégradation à partir d’un outil mis en œuvre sur le smartphone du patient. Ou encore des chatbots (Robots conversationnels) de suivi de patients à distance dans le diabète, le VIH, l’hépatite C, la chimiothérapie, lorsque le patient n’est pas hospitalisé ou sous surveillance médicale directe.
L’IA pour écouter
Des systèmes d’IA parcourent le web pour recueillir des informations sur une pathologie, un produit, des effets secondaires, ainsi que des éléments relatifs à la qualité de vie. L’apport en est jugé particulièrement précieux pour les maladies rares, dans lesquelles les patients malades et leurs aidants sont particulièrement actifs. Cet applicatif a notamment été utilisé par les autorités et les centres de pharmacovigilance pour la remontée d’effets indésirables liés à la vaccination durant la pandémie. On peut aussi citer la surveillance des mésusages des opioïdes par l’Observatoire français des médicaments antalgiques, réalisée grâce à ce système d’écoute. Un autre exemple marquant dans le domaine de l’épidémiologie : un système canadien a détecté la survenue du virus Covid quelques jours avant l’annonce de l’OMS, par un système de veille intégrant une IA ! Il est par ailleurs à noter que, pour la recherche ou la veille sanitaire, des études multisources en vie réelle, performantes, sont permises aujourd’hui par l’IA.
Les promesses de l’IA générative
Enfin, la santé n’échappe pas à une utilisation croissante de systèmes d’intelligence artificielle générative (SIAGen). C’est déjà le cas, par exemple, dans la formation aux entretiens pharmaceutiques ou dans l’usage de chatbots dans le suivi de patients (voir interview de Rémy Collomp dans l'article "Etablissements de santé - Des systèmes experts dans le quotidien des pharmaciens"). On parle aussi d’une rédaction en routine de comptes rendus de consultations. Plus largement, dans son rapport de mars 2024 sur l’IA générative en santé, l’Académie de médecine considère que « tous les professionnels de santé doivent être formés à l’usage des SIAGen » qui va « se généraliser ». Et de citer de multiples exemples dans l’imagerie (amélioration de la qualité et de la rapidité d’analyse, génération de nouvelles images et de synthèses), pour les médicaments (processus d’accélération à moindre coût de l’examen des hypothèses de nouvelles molécules, modifications de la structure moléculaire de molécules existantes…), avec notamment la rédaction des lettres d’information personnalisées adressées aux patients ou encore le guidage et l’information des patients par des agents conversationnels.
Une interdisciplinarité essentielle
Nous pourrions ainsi multiplier les cas d’usage de systèmes d’IA déjà opérationnels en routine dans la santé. Point commun clé à toutes ces applications : il ne peut pas y avoir d’IA en santé sans interdisciplinarité et sans réponses collégiales aux nombreuses questions qu’elle pose, et ce, dès la conception des algorithmes.
« Une question d’années pour le déploiement massif de ces technologies »
Olivier Clatz,
directeur du programme Ségur numérique

« Je veux déjà dire un grand merci aux pharmaciens pour leur investissement massif dans le Ségur numérique ! Ils sont non seulement très réactifs, mais également dans la demande et l’anticipation. Concernant l’IA, je pense qu’il faudra un peu de temps pour le déploiement de ces technologies, malgré l’enthousiasme qu’elles suscitent.
Le Deep Learning s’est affirmé il y a une dizaine d’années, les LLM (Large Language Models*) arrivent maintenant. Il faudra au moins deux ans pour voir dans la santé des outils matures basés sur ces dernières technologies, cinq à dix ans s’ils nécessitent beaucoup d’essais cliniques. Cette maturité impliquera aussi l’étude de ces logiciels par les instances réglementaires. Enfin, l’apport de valeur pour le professionnel de santé sera la clé. S’il s’annonce massif, les industriels investiront davantage, ce qui accélérera les développements.
Quant aux prochaines perspectives pour la pharmacie, je pense à des dispositifs capables de faire des synthèses dans le cadre des entretiens pharmaceutiques, par exemple. Ou l’émergence de systèmes d’IA qui expliqueront au patient le contenu d’une prescription ou d’un compte rendu.
Par ailleurs, en vue de la quantité importante de documents qui seront postés dans Mon Espace Santé (MES), on anticipe des technologies qui pourront extraire les informations importantes pour alerter
le professionnel de santé, par exemple sur la conciliation médicamenteuse.
On voit déjà apparaître des algorithmes qui scannent l’antériorité des remboursements et observent leur cohérence avec une prescription présente. Les données massives de MES pourront aussi probablement aider à développer des algorithmes, mais nous n’en sommes pas là, même d’un point de vue réglementaire. »
* La technologie derrière l’IA générative (IA capable de générer des contenus et des idées).
"Améliorer les connaissances des personnes sur la seconde vie des données de santé et l'IA"
Caroline Guillot,
directrice citoyenne du Health Data Hub

« Au Diabète LAB, nous avons constaté que les dispositifs médicaux (DM), dont ceux qualifiés d’IA, peuvent simplifier la vie des personnes atteintes de diabète, voire réduire la charge mentale liée à leur maladie. Ce sont aussi des dispositifs qui, dans certains cas, peuvent les amener à mieux se connaître, jusqu’à être plus réflexifs. Il s’agit notamment de nouveaux systèmes de pompes à insuline. Ainsi, les dispositifs médicaux avec IA peuvent avoir des effets bénéfiques sur les personnes, en améliorant leur santé ; ils peuvent aussi impacter de façon positive leur qualité de vie et le rapport à la maladie par la façon même dont les personnes s’en servent. Dans ce cadre de la relation patient-IA appliquée aux données de santé pour le soin primaire issues des DM, l’enjeu est celui de l’articulation entre ce que l’IA fait de lui (ses bénéfices sur la santé) et ce que lui-même en fait (sa capacité à rester acteur).
Les bénéfices de l’IA dans le champ de l’utilisation secondaire des données de santé sont aussi avérés. Les données sont un facteur majeur d’accélération de la recherche médicale, grâce à des algorithmes d’intelligence artificielle qui peuvent aider à croiser les informations des patients atteints de maladies rares, par exemple. Le croisement de données sert également à créer de nouveaux outils pour les professionnels de santé afin de déterminer la meilleure prise en charge, que ce soit lors du dépistage, de la pose du diagnostic, de l’interprétation de résultats d’imagerie médicale ou pour les prescriptions médicamenteuses. Elles facilitent, enfin, l’amélioration continue du système de santé, par le développement de l’utilisation des données en vie réelle dans l’évaluation des produits de santé mis sur le marché (médicaments et dispositifs médicaux), dans la surveillance d’une crise sanitaire, ou encore dans le suivi et l’évaluation de l’efficacité des politiques publiques sanitaires, notamment en matière de prévention. Ici, l’enjeu de la relation « citoyen-IA » appliqué à la seconde vie des données est celui de l’acculturation des personnes à l’existence même de ces données pour la recherche et à ce qu’est l’IA en santé. Car les patients ont des droits vis-à-vis de ces données, qu’ils ne feront valoir comme ils le souhaitent que s’ils ont une compréhension claire du sujet. »