Cahier thématique n°23 - IA en santé, entre promesses et prudence
02. Les applications de l’IA dans les différents métiers de la pharmacie
Industrie pharmaceutique - L’essor des algorithmes, de la recherche à la vie réelle
25/07/2024

Le champ d’intervention de l’intelligence artificielle (IA) est potentiellement très vaste pour l’industrie pharmaceutique. Dans bien des cas, le pharmacien responsable occupera une place privilégiée dans le dialogue instauré avec les développeurs, les universitaires et les régulateurs. Un dialogue indispensable afin que le plein potentiel de ces innovations puisse être réalisé au profit de la santé des patients et des animaux(14).
(14) Selon Peter Arlett, responsable de l’analyse des données et des méthodes à l’EMA, coprésident du Big Data Steering Group (BDSG).
« Les outils d’IA et de Machine Learning (ML) ont le potentiel de soutenir efficacement l’acquisition, la transformation, l’analyse et l’interprétation des données tout au long du cycle de vie des médicaments », relève l’Agence européenne des médicaments (EMA). Dans les bénéfices de l’IA pour la santé, l’informaticien et philosophe Jean-Gabriel Ganascia (voir article "Et demain, quel champs des possibles?") met d’ailleurs d’abord en avant ses atouts dans la conception de médicaments (« Drug Design »), notamment pour la sélection de candidats-médicaments avant même la phase clinique.
Un fort impact en phases cliniques
L’EMA cite des approches de modélisation pour remplacer ou affiner l’utilisation de modèles animaux(15) au cours du développement préclinique. Dans les essais cliniques, des systèmes d’IA peuvent faciliter la sélection des patients, ainsi que l’enregistrement et l’analyse des données qui seront soumises aux autorités dans les procédures d’autorisations de mise sur le marché (AMM). Au stade de l’AMM justement, de telles applications permettent de compiler des données pour nourrir les systèmes d’IA. Dans la phase de post-autorisation, les outils d’IA peuvent soutenir les activités de pharmacovigilance. Cependant, comme le soulignent les autorités européennes, il faudra surveiller la compréhension des algorithmes et leurs éventuels biais (représentativité des données). L’EMA rappelle que les demandeurs et titulaires d’AMM, qui prévoient de déployer une technologie d’IA, doivent gérer les risques afférents tout au long du cycle de vie du produit, et « s’assurer que tous les algorithmes, modèles, ensembles de données et pipelines de traitement des données utilisés sont adaptés à l’objectif visé et conformes aux normes éthiques, techniques, scientifiques et réglementaires telles que décrites dans les normes GxP (ensemble des bonnes pratiques applicables au secteur) et les lignes directrices scientifiques », à commencer par les bonnes pratiques cliniques.
(15) Un modèle animal ou modèle animal de maladie est un animal non humain ayant une affection similaire à une affection humaine et servant de modèle pour l’étude de cette affection.
Médecine de précision, pharmacovigilance, études post-AMM : l’IA dans la vie réelle
On comprend ici l’importance du pharmacien responsable dans son rôle qui est très spécifique à la France. D’autant que l’IA peut être utilisée par les équipes de soins pour individualiser le traitement en fonction de facteurs tels que les caractéristiques de la maladie, le génotype du patient, les panels de biomarqueurs à large bande et les paramètres cliniques. À l’avenir, un système d’IA pourra même être référencé dans le résumé des caractéristiques du produit pour faciliter les décisions relatives à l’indication et à la posologie, indique l’EMA. On parle évidemment ici de dispositifs à haut risque dans le cadre du règlement européen sur l’IA (voir article "Règlement européen sur l'IA : première réglementation au monde des usages d'IA"), et donc d’une supervision humaine obligatoire.
Les outils d’IA peuvent être utilisés pour aider dans les activités post-autorisation telles que les études sur l’efficacité et la sécurité des médicaments, ainsi que la pharmacovigilance. Dans tous les cas d’utilisation de l’IA, il est important d’avoir un plan de gestion des risques pour évaluer les conséquences potentielles des prédictions ou classifications incorrectes. Ce plan devrait inclure des mesures d’atténuation ou de correction, comme la suspension ou la mise hors service d’un modèle algorithmique, ainsi que les étapes à suivre pour le faire.
Enfin, l’utilisation de l’IA est amenée à s’accroître dans les prochaines années dans la production de médicaments pour la conception des processus, le contrôle de la qualité et la libération des lots.
« De forts atouts, mais des risques à prendre en compte »
Gilles Hubert,
pharmacien responsable chez Lilly France, coordinateur du groupe de travail Industrie 4.0 du Leem*
« Il est primordial de tenir compte du fait que l’IA n’est qu’une réponse possible parmi d’autres à une problématique, un enjeu ou un besoin de transformation.
Côté fabricant, de nombreuses applications utilisant l’IA existent ou sont en cours de développement. Je citerai quelques exemples au niveau des activités de l’exploitant ou du fabricant sachant bien entendu que l’on en retrouve sur tout le cycle de vie du médicament ; on peut notamment parler de la maintenance prédictive d’équipements de production pour prévenir des pannes. Certains travaillent aussi sur des prédictions de rendement, où l’IA aidera à optimiser les étapes de process.
Côté exploitant, l’IA va, par exemple, pouvoir compiler de la documentation d’information médicale et générer des documents de type questions-réponses par thématique. Vous pouvez aussi l’utiliser dans les processus de réclamation : l’IA analyse l’ensemble des informations d’une investigation et vous aide à synthétiser les principaux éléments permettant de générer une lettre de réponse. C’est un gain de temps énorme pour analyser des masses de documents, sachant qu’un contrôle humain s’impose toujours pour prévenir certains risques (cybersécurité, confidentialité et protection des données, propriété intellectuelle des données d’entraînement, potentiels biais ou obsolescence de datas…).
Une étape clé dans l’utilisation d’un système d’IA est de travailler vos données (en nombre, qualité, reproductibilité des process). Pour cela, vous pouvez vous appuyer sur des pratiques déjà existantes pour vérifier vos algorithmes de contrôle à différentes étapes en matière de données, d’analyses statistiques à réaliser sur les traitements, ou encore sur de nouveaux métiers, comme les data scientists. Lorsque vous voulez utiliser l’IA, l’ensemble de ses composantes et impacts, tels que la structure informatique, le coût financier et le coût environnemental, sont à considérer.
Enfin, le pharmacien responsable doit s’assurer qu’un système d’IA est conforme à la réglementation,
bien que celle-ci soit encore en cours de développement. »
*Les Entreprises du médicament.