Tous Pharmaciens La revue n°25 - juillet 2024
DOSSIER
Accès aux soins et aux produits de santé : quel rôle pour les pharmaciens ?
15/07/2024

Depuis le début des années 2000, la problématique de l’accès aux soins des Français a pris une place grandissante dans le débat public. La réponse des pharmaciens, qui sont souvent les premiers professionnels de santé disponibles pour le patient, s’est accrue au fil du temps avec l’évolution de leurs missions et la forte complémentarité de leurs différents métiers.
En préambule de son rapport du mois de mai 2024(1), la Cour des comptes rappelle la définition des soins de premier recours, donnée par le code de la santé publique (CSP, article L. 1411-11) : « Les soins de premier recours recouvrent, outre les soins des médecins généralistes et de quelques spécialistes accessibles en accès direct, les conseils des pharmaciens, les soins infirmiers et de kinésithérapie, les soins dentaires ou encore ceux assurés par les orthophonistes ou les psychologues. » Cette définition indique la place essentielle des pharmaciens de tous les métiers dans le dispositif, couvrant des actions de prévention, de dépistage, de diagnostic, de traitement, de suivi et d’orientation des patients.
Un sondage réalisé en début d’année montre que les difficultés d’accès aux soins et aux produits de santé rencontrées par les Français, ainsi que les disparités territoriales, se sont considérablement accrues, avec des conséquences potentiellement graves : près de deux Français sur trois déclarent avoir renoncé à au moins un acte de soins au cours des cinq dernières années(2). Les raisons sont multiples, mais parmi les principales reste celle de l’insuffisance des ressources humaines et matérielles pour faire face efficacement au vieillissement de la population et à l’accroissement des pathologies chroniques qui lui est lié. Par ailleurs, les efforts globaux de prévention et de dépistage engendrent une augmentation du volume de consultations, bien qu’il soit utile de rappeler que, dans un second temps, ces efforts permettront une diminution du volume et de la gravité des prises en charge. En résumé, les difficultés observées concernant l’offre de soins sont multifactorielles et englobent tous les métiers de la santé.
État des lieux de la démographie pharmaceutique
Les problèmes d’accès aux soins peuvent en partie s’expliquer par les différences d’évolution entre la population générale et le nombre de professionnels de santé en activité sur les dix dernières années. Sur cette même période, on constate que la population a augmenté de plus de 3,5 %, alors que la démographie pharmaceutique n’a, elle, progressé que de 1,8 %, soit deux fois moins rapidement. En effet, si le profil type du pharmacien n’a que peu évolué et si l’âge médian de la profession rajeunit légèrement, l’Ordre des pharmaciens est soucieux d’anticiper un potentiel déficit dans les années à venir. C’est pourquoi il a défini, fin 2022, une feuille de route comprenant un large panel d’actions pour augmenter l’attractivité de la profession, en synergie avec l’ensemble des acteurs concernés : pouvoirs publics, associations d’étudiants, syndicats de pharmaciens d’officine et de la biologie médicale, conférence des doyens de pharmacie(3)…
Chiffres clés
- 97% des Français ont accès en moins de dix minutes à une pharmacie d’officine(4)
- 94 % des Français ont accès en moins de dix minutes à un laboratoire de biologie médicale(5)
Lutter contre les difficultés d’accès aux soins : quels leviers d’action ?
Les données de la démographie des professionnels de santé, tous métiers confondus, n’expliquent pas à elles seules les difficultés croissantes d’accès aux soins de premier recours. Pour faire face aux multiples facteurs en cause, il convient donc d’agir à différents niveaux par :
- le renforcement d’un maillage territorial suffisamment dense, pour que les patients puissent se rendre à un point d’accès aux soins dans un temps de parcours raisonnable, en particulier dans des zones fragilisées par un manque d’attractivité ;
- l’organisation de coopérations structurées entre professionnels de santé, car on constate que les délégations de tâches médicales peuvent être largement optimisées en France par comparaison avec d’autres pays développés(6) ;
- une orientation plus efficace des patients, qui sont souvent amenés à se rendre à l’hôpital faute d’avoir trouvé une alternative proche de leur domicile, même si une généralisation des services d’accès aux soins (SAS) est prévue en 2024 dans tous les départements(7) ;
- une meilleure utilisation des compétences des différents professionnels de santé impliqués dans la prise en charge des patients.
Par leur place de professionnels de santé de proximité dans le dispositif global, les pharmaciens jouent un rôle crucial dans toutes ces nouvelles missions.
Les pharmaciens, acteurs de première ligne
En ville, les pharmaciens constituent une des premières portes d’entrée dans le système de santé(8), et ceci pour trois raisons :
- parce que, la plupart du temps, ils sont accessibles sans rendez-vous, voire en urgence. De plus, le mécanisme des gardes, défini réglementairement, permet d’assurer qu’une officine soit ouverte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, dans tous les territoires ;
- parce que la densité de leur maillage territorial permet de réduire les inégalités d’accès aux soins. Ainsi, la densité officinale française est en moyenne supérieure à celle de la plupart des pays développés : 30 officines pour 100 000 habitants(5). Concernant les laboratoires de biologie médicale (LBM), une analyse menée en 2023 par la section G, représentant les biologistes médicaux, montre que, même dans les départements ruraux métropolitains ayant la plus faible densité médicale, 99 % des habitants ont accès à un LBM à moins de 30 minutes en voiture et 94 % à moins de dix minutes(9). De plus, la restructuration du réseau des pharmacies à usage intérieur (PUI), dans lesquelles exercent au moins un pharmacien, est également efficace : 3,3 PUI pour 100 000 habitants en 2023 ;
- et parce que ce sont des professionnels de santé disposant d’une formation initiale longue et solide, renforcée régulièrement par les obligations de développement de formation continue (DPC) et l’extension de leurs missions.
Le regard de
Philippe Mouiller
Sénateur des Deux-Sèvres et président de la commission des affaires sociales

« Face à un tel enjeu de santé publique, on ne peut se satisfaire de mesures ponctuelles, qui peuvent s’avérer contre-productives. Il faut mener une réflexion sur l’organisation globale du système, incluant toutes les professions de santé et à tous les niveaux : favoriser l’attractivité (dès la formation initiale), leur immersion dans les territoires, leur reconnaissance, la coordination ville/hôpital, éviter la paupérisation… Certes, ces pistes de progrès dépassent largement la profession de pharmacien, mais celui-ci y tient une place essentielle. Je pense ainsi aux nouvelles missions qui peuvent lui être confiées lorsque l’accès à un médecin est difficile. Cela suppose aussi de repenser le modèle économique, car ces missions doivent être, en toute logique, rémunérées.
Je ne suis toutefois pas opposé à des approches innovantes, mais elles doivent toujours s’accompagner de la relation privilégiée et éclairante du patient avec le pharmacien. Il faut pour cela défendre le monopole et encadrer la vente en ligne des médicaments. Des télécabines de consultation ? Pourquoi pas, mais à condition que ce soit à proximité d’un professionnel pour bénéficier de ses conseils, et que celui-ci soit rémunéré pour ce service. »
Préserver la présence des pharmaciens dans les territoires fragiles
L’ouverture d’une officine est soumise à des règles démographiques nationales définies dans le CSP. Bien que certaines fragilités aient pu être constatées à l’échelle locale, cette réglementation a en effet permis, jusqu’à présent, de maintenir une offre pharmaceutique équilibrée sur l’ensemble du territoire, contrairement aux difficultés rencontrées actuellement par d’autres professionnels de santé. Le maintien de cet accès aux produits de santé est essentiel et il convient de ne pas le remettre en cause par des mesures générales qui pourraient le déstabiliser dans son ensemble, dans un objectif légitime de réponse aux territoires en difficulté.
Deux dispositifs spécifiques sont aujourd’hui prévus par la loi pour faire face aux fragilités qui apparaissent localement :
- le décret territoires fragiles : l’ordonnance n° 2018-3 du 3 janvier 2018, permise par la loi de 2016 de modernisation de notre système de santé, prévoit un assouplissement des règles d’ouverture d’une officine dans certains territoires considérés comme fragiles. Un décret du 7 juillet 2024 précise les conditions dans lesquelles sont définis « les territoires au sein desquels l’accès au médicament pour la population n’est pas assuré de manière satisfaisante ». Les agences régionales de santé (ARS) détermineront ces territoires pouvant accueillir des pharmacies d’officine, par voie de transfert ou de regroupement, grâce à une dérogation à la règle du maillage territorial pharmaceutique qui ne permet pas l’installation de pharmacies sur des communes de moins de 2 500 habitants. Les officines en difficulté situées dans ces territoires fragiles pourront bénéficier d’une aide financière, jusqu’à 20 000 euros par an, de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), sous réserve de réunir certaines conditions ;
- l’expérimentation d’antennes de pharmacie, prévue dans la loi dite ASAP(10). Un texte législatif récent a levé les derniers obstacles pratiques à sa mise en œuvre(11). Ainsi, l’ARS peut, dans le cas où la dernière officine d’une commune cesse définitivement son activité, autoriser à titre dérogatoire la création d’une seule antenne de pharmacie par le ou les pharmaciens titulaires d’une officine d’une commune limitrophe ou de l’officine la plus proche. Une première antenne devrait voir le jour très prochainement en région Provence-Alpes-Côte d’Azur – Corse.
Par ailleurs, la mise en application de la réforme du troisième cycle des études de pharmacie est une mesure que l’Ordre appelle de ses vœux, car elle encouragerait les étudiants du diplôme d’études spécialisées (DES) en officine à faire un stage dans des zones sous-denses, notamment en bénéficiant d’indemnités d’hébergement, dans la perspective d’inciter les professionnels ensuite diplômés à s’y implanter régulièrement.
Pour la biologie médicale, l’Ordre défend une organisation qualitative de l’accès aux soins, la densité du maillage territorial n’étant pas la seule réponse aux besoins. On constate, en effet, qu’un nombre croissant de sites de LBM n’effectuent plus que des prélèvements, les phases analytiques étant déportées sur des sites à distance. L’Ordre rappelle l’importance, pour les LBM, de mettre en place une logistique adaptée et pertinente pour répondre aux besoins des patients.
Les biologistes médicaux jouent un rôle majeur dans le système de soins. Ils constituent la plaque tournante de l’orientation du patient en échangeant avec le prescripteur pour approfondir les diagnostics, notamment par l’ajout d’examens complémentaires (ex. : déficit en facteurs de la coagulation, anémie sévère…) ou en guidant le patient en cas d’urgence pour une prise en charge adaptée. Prenons l’exemple du suivi des beta-HCG et du niveau de protéines dans les urines, essentiel pour une femme enceinte et qui peut aboutir à des cas d’urgence médicale, mais aussi la détection d’un niveau de potassium élevé qui peut amener le biologiste à contacter le Samu, le diagnostic du paludisme qui déclenche une prise en charge d’urgence : autant d’exemples qui illustrent le rôle du biologiste et sa complémentarité avec les autres professionnels de santé.
Ils sont aussi de plus en plus actifs en matière de dépistage et de prévention avec, notamment, la mise en place de prélèvements sans prescription, tel que le « VIH sans ordo » dorénavant étendu à quatre nouvelles infections sexuellement transmissibles (IST) à compter du 1er septembre 2024 pour les moins de 26 ans (neisseria gonorrhoeae, chlamydia trachomatis, treponema pallidum [syphilis] et virus de l’hépatite B).
En savoir plus :
Signature de l’avenant 1 à la convention qui favorise la lutte contre les déserts pharmaceutiques
Quand le désert avance, soyons innovants
Isabelle Chopineau
pharmacienne titulaire dans le Cher, présidente du Conseil Régional de l’Ordre (Centre-Val de Loire)

« Deux projets d’expérimentation d’antenne de pharmacie sont à l’étude dans ma région Centre-Val de Loire. Ces projets s’inscrivent dans un cadre législatif très précis et doivent répondre à un cahier des charges national, qui est lui-même complété par une prise en compte des spécificités locales réalisée par la direction départementale de l’ARS. J’insiste sur la nécessité d’une phase préparatoire solide, rassemblant les volontés de tous les acteurs locaux, que je remercie de leur soutien : ARS, municipalités, parlementaires… Pour l’un des deux projets, nous venons de franchir cette première étape avec le soutien financier de l’Assurance maladie, de l’ARS et des collectivités territoriales. Nous allons maintenant lancer un appel à candidatures auprès des confrères des communes voisines de celle où une officine a définitivement fermé ses portes. Il est évidemment trop tôt pour préjuger des résultats de cette expérimentation et de toutes ses implications pratiques, mais nous ne pouvons pas rester sans rien faire, face à une situation qui pénalise lourdement la population locale. Cette expérimentation durera trois ans. »
De nouvelles missions pour plus de proximité
L’Ordre défend depuis longtemps la nécessité d’élargir les compétences des pharmaciens. Cette piste de progrès a d’ailleurs déjà démontré son efficacité dans le domaine de la prévention :
- la crise sanitaire a mis en exergue le rôle primordial des officinaux dans la vaccination de masse : 5,3 millions de Français vaccinés en pharmacie contre la Covid-19 en 2023(16) ;
- de même lors des campagnes nationales de dépistage : 839 658 kits de dépistage du cancer colorectal délivrés en 2023, 70 % des officines les proposent. Les tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) en sont une autre illustration, et l’extension récente de la liste de ceux qui peuvent être réalisés en officine confirme la pertinence de la démarche ;
- les rendez-vous de prévention aux âges clés de la vie : après les résultats probants d’une expérimentation du dispositif menée dans les Hauts-de-France en 2023, un arrêté vient de formaliser les modalités pratiques de son extension au niveau national.
OFFICINE
Consulté par les pouvoirs publics sur l’autorisation permettant aux pharmaciens d’officine de prescrire une antibiothérapie après un TROD angine ou cystite positif, dans le cadre de l’amélioration de la prise en charge et du suivi des patients, l’Ordre a porté le sujet auprès des parlementaires. Cette autorisation est désormais en vigueur depuis le décret du 17 juin 2024, et ses modalités ont été définies par l’arrêté du même jour.
De même, l’Ordre avait soutenu le dispositif de la loi Rist(17), permettant aux officinaux de prolonger un traitement pendant trois mois, afin notamment d’éviter son interruption chez des patients chroniques (textes d’application en attente).
« Mon équipe est très motivée pour mettre en application ces nouvelles missions et prend même sur son temps libre pour s’y former. Elles font désormais partie de notre routine, mais il est important d’avoir un soutien de la puissance publique. Je ne pense pas seulement à l’aspect financier, mais aussi à l’information des patients pour qu’ils deviennent demandeurs : on voit très concrètement l’impact que peut avoir auprès d’eux un courrier personnalisé de l’Assurance maladie. »
Christine Bihr, pharmacienne titulaire d’une officine en Île-de-France
DISTRIBUTION EN GROS ET INDUSTRIE
Les nouvelles missions des pharmaciens distributeurs en gros et des pharmaciens industriels incluent un suivi accru des produits et l’adaptation des canaux de distribution pour prévenir les ruptures. Les distributeurs en gros doivent ajuster logistique et approvisionnements en fonction des tensions.
Pour les pharmaciens industriels, il s’agit d’une opportunité de renforcer leur collaboration avec les pharmaciens d’officine et hospitaliers en leur fournissant des outils, des conseils et en les soutenant dans la mise en place, par l’ANSM, d’une expérimentation concernant la dématérialisation des notices de certains médicaments et la diversification des supports d’information, qui doit débuter cette année.
« En tant que pharmaciens de l’industrie, nous sommes vigilants à ce que cette transition numérique vers la e-notice se fasse de manière éthique et responsable. L’important est de ne laisser personne au bord de la route. »
Nathalie Muller, pharmacienne aux Affaires réglementaires de Sanofi-Winthrop Industrie (exploitant)
HOPITAL
Concernant les pharmaciens hospitaliers, une piste de travail est suivie par la section H, représentant les pharmaciens des établissements de santé ou médicosociaux et des services d’incendie et de secours, en partenariat avec la Société française de pharmacie clinique (SFPC) : celle de donner plus d’autonomie aux pharmaciens des PUI en matière de renouvellement et d’adaptation des traitements, notamment en cas d’absence du médecin prescripteur.
« Autonomie ne veut surtout pas dire cloisonnement. Les pharmaciens hospitaliers ont une grande expérience du travail coordonné avec les équipes de soignants, par exemple au sein des réunions de concertation interdisciplinaire. »
Patrick Rambourg, pharmacien hospitalier, président de la section H
BIOLOGIE MEDICALE
La loi Rist prévoit également que les pharmaciens biologistes médicaux puissent réaliser des prélèvements cervico-vaginaux dans le cadre du dépistage du cancer du col de l’utérus, ainsi que l’acte d’analyse de dépistage à la suite du prélèvement, sans prescription médicale et sur simple présentation du courrier d’invitation. Ils pourraient même être associés aux mesures de dépistage, de prévention et de suivi des traitements chroniques, sachant qu’environ 500 000 Français se rendent quotidiennement dans un laboratoire de biologie médicale.
« Les biologistes médicaux auraient, avec les examens qu’ils réalisent quotidiennement, toutes compétences pour adapter par exemple un traitement anticoagulant, même en situation d’urgence. »
Julien Fonsart, biologiste médical, vice-président de la section G
Une prise de décision rapide, efficace et reproductible
Jean-François Guillerm
pharmacien titulaire dans les Côtes-d’Armor, président du Conseil régional de l’Ordre (Bretagne)

« Si l’expérimentation OSyS a pu être étendue, dans le cadre de l’article 51, à trois autres régions (Corse, Centre-Val de Loire et Occitanie), c’est parce que nous avons su répondre, dans les conditions normales d’accueil à l’officine, à six situations de soins de premier recours : plaies simples, piqûres de tiques, cystites, brûlures du premier degré, douleurs pharyngées et conjonctivites. En nous appuyant sur les performances d’un outil numérique facile d’emploi, nous effectuons une première phase de “triage”, qui détermine :
- l’orientation vers un service d’urgence ;
- ou vers la consultation d’un médecin généraliste ;
- ou le conseil et la délivrance d’un médicament adapté (hors PMO).
Avec l’accord du patient, nous informons ensuite son médecin habituel des résultats de la démarche. Puis, dans un délai déterminé, nous rappelons le patient pour nous assurer de la bonne évolution de sa pathologie : nous avons généralement des retours très positifs pour ce suivi.
Après trois ans de mise en application de cet algorithme, nous avons notamment pu démontrer qu’il entraînait un moindre recours aux urgences et au médecin, et qu’il permettait d’éviter une automédication inappropriée. Je vois un gros avantage d’efficience dans cette approche qui reste compatible avec les conditions pratiques d’exercice à l’officine et le développement de l’interprofessionnalité. »
Progresser de façon pragmatique et coordonnée
Seul professionnel de santé accessible sans rendez-vous, le pharmacien est un acteur de proximité et de confiance. Il peut être une solution dans la prise en charge de soins de premiers recours, en particulier dans le contexte de tensions de professionnels de santé. Les différents métiers de la pharmacie ont connu des évolutions structurantes en ce sens ces dernières années avec de nouvelles missions. D’autres pourraient venir les compléter : déployer plus largement la fonction de pharmacien correspondant, élargir la dispensation de certains médicaments de prescription médicale obligatoire (PMO) à d’autres indications que l’angine et la cystite, simplifier les protocoles de coopération, développer le rôle d’orientation des patients…
C’est le cas de l’expérimentation OSyS (Orientation dans le système de soins) qui a été menée en Bretagne par 50 officines depuis fin 2021. Au vu de ses résultats positifs et de l’avis favorable de la Haute Autorité de santé (HAS), elle a été étendue à trois autres régions dans une perspective de généralisation(12).
Donner plus de prérogatives aux pharmaciens s’inscrit dans la recherche d’un parcours de soins plus fluide et plus lisible. L’amélioration des collaborations interprofessionnelles est, en effet, un des moyens pour garantir l’accès aux soins dans les territoires fragiles(13). L’Ordre participe aux travaux du Comité de liaison des institutions ordinales de santé (CLIO santé) et a fait des propositions d’actions concrètes dans ce sens(14).
La mise en place d’outils d’échange simples et performants en fait partie. Même si cela ne concerne pas exclusivement des soins primaires, des expérimentations montrent, là encore, que la mise à disposition d’outils de partage contribue à des coopérations organisées entre professionnels de ville et les établissements et services de santé, a fortiori dans les territoires sous-denses (voir encadré de Laurence Spiesser-Robelet).
Plus de 12 000 patients suivis à l’échelle du département
Laurence Spiesser-Robelet
pharmacienne MCU-PH au CHU d’Angers, lauréate du prix de l’Ordre 2022 pour son action de coordination ville-hôpital en faveur de la prise en charge médicamenteuse des patients âgés

"Le parcours des patients âgés hospitalisés que nous incluons dans l’expérimentation « PARTAGE GHT 49 » est simple : le pharmacien de la PUI réalise un bilan médicamenteux au cours de l’hospitalisation, puis la conciliation médicamenteuse de sortie, comprenant et justifiant l’ensemble des modifications thérapeutiques apportées, qui est transmise au pharmacien d’officine du patient de manière sécurisée grâce à une plateforme numérique spécifique. Cela lui permet alors de délivrer des conseils adaptés, d’avoir une vigilance accrue et un suivi du patient notamment sur les « déprescriptions » et de lutter contre la iatrogénie médicamenteuse. Il est également sollicité pour réaliser un bilan partagé de médication. À son tour, il peut transmettre les informations à d’autres professionnels qui suivent le patient (généraliste et infirmière, principalement). Les résultats sont là, puisque plus de 96 % des officines du Maine-et-Loire participent à l’expérimentation « PARTAGE GHT 49 », et 40 d’entre elles suivent déjà plus de 100 patients dans ce parcours. Un des facteurs clés de réussite est la simplicité du dispositif et la facilité d’emploi de la plateforme d’échange. Je pense que son utilisation est parfaitement extrapolable à d’autres populations et d’autres territoires.
En conclusion, je dirai que « PARTAGE GHT 49 » favorise la pharmacie clinique et le lien ville-hôpital et se trouve donc particulièrement en phase avec la nouvelle convention médicale signée en juin 2024, qui prévoit la rémunération de « consultations longues » dans le cadre de sorties d’hospitalisation ou de déprescriptions menées en partenariat avec les pharmaciens."
Pas d’accès aux soins sans accès aux produits de santé
L’accès aux soins ne peut se dissocier de l’accès aux produits et aux actes de soins ; les pharmaciens y jouent un rôle crucial en tant qu’interlocuteurs de proximité, dispensant des médicaments et des dispositifs médicaux, réalisant certains actes et prodiguant des conseils essentiels à la santé des populations locales.
Dès lors, n’oublions pas les efforts déployés par ces derniers pour sécuriser les approvisionnements, y compris dans des contextes particuliers tels que les crises sanitaires, catastrophes naturelles… mais aussi dans des circonstances plus heureuses comme les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 !
L’évolution des systèmes d’information, intégrant toujours plus d’intelligence artificielle, permet aux distributeurs en gros d’améliorer encore la disponibilité des médicaments en assurant une meilleure traçabilité, d’accroître l’anticipation des situations de tension de stock et de favoriser une plus grande agilité dans la distribution. De plus, l’organisation de la profession autour de tiers indépendants permet la collecte anonyme des données de stockage et de disponibilité des médicaments en tension.
Les spécificités de l’outre-mer
Théo Blaise
pharmacien de recherche clinique au centre hospitalier de Cayenne, conseiller ordinal et membre de la commission des nouveaux inscrits

Les problèmes d’accès aux soins en outre-mer sont souvent accentués par des facteurs spécifiques : isolement dû aux zones difficiles d’accès (telles que les zones montagneuses de La Réunion, forêt amazonienne en Guyane), précarité socio-économique et situation sanitaire locale et spécifique avec, par exemple, des épidémies tropicales. Les pénuries sont ressenties avec quelques semaines de décalage par rapport à l’Hexagone, du fait de l’existence de stocks de sécurité de trois mois. Malgré tout, la distance entre les territoires d’outre-mer et la métropole a un impact sur les réapprovisionnements qui sont plus longs. L’Ordre milite pour que le transport des médicaments et des produits de santé soit considéré comme prioritaire, aussi bien par voie aérienne que maritime.
"Il est souvent plus facile de faire bouger les choses en outre-mer. Ces difficultés ne doivent pas occulter l’indéniable attractivité d’un exercice de la pharmacie, souvent dans des conditions particulières et contraintes, mais toujours très enrichissant tant sur le plan professionnel que personnel. Les travaux de recherche sont souvent valorisés par une mise en application rapide. Il existe également une grande facilité de coopération entre confrères et d’autres professionnels de santé, médecins notamment, voire avec des équipes étrangères (par exemple du Brésil ou du Surinam). En l’absence de faculté en outre-mer, la venue d’étudiants de troisième cycle dans les hôpitaux et le déploiement d’un internat de pharmacie Antilles-Guyane seraient des opportunités supplémentaires, à la fois pour les départements d’outre-mer et les jeunes pharmaciens."
Quelques rappels sur les pénuries
Les pénuries de produits de santé constituent une préoccupation majeure de tous les acteurs du système de santé. C’est un axe prioritaire de recherche de solutions pour l’Ordre. En effet, ce phénomène s’avère :
- délétère pour la santé des patients, même si des travaux émergent pour en mesurer les conséquences (ex. : étude Cirupt) ;
- chronophage, mobilisant un temps d’exercice important et que les pharmaciens pourraient utilement consacrer à d’autres missions au service des patients ;
- complexe car multifactoriel, ce qui a été analysé en détail dans un cahier thématique de l’Ordre(15) ;
- mondial, compte tenu des modes de production qui dépassent majoritairement nos frontières.
Aujourd’hui, tous les intervenants de la chaîne pharmaceutique sont mobilisés pour optimiser les approvisionnements en aval, gérer les dotations, voire les contingentements. En collaboration avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), la Charte d’engagement des acteurs de la chaîne du médicament pour un accès équitable des patients aux médicaments, élaborée par l’Ordre et l’ANSM, a été signée par les acteurs. Enfin, toujours dans l’objectif de renforcer l’offre de produits de santé, la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, le ministre délégué chargé de l’Industrie et de l’Énergie ainsi que le ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention ont dévoilé, en février 2024, une nouvelle feuille de route 2024-2027 de lutte contre les pénuries de médicaments. L’Ordre s’attelle aussi à proposer des solutions pratiques grâce au développement du DP-Ruptures.
Le DP-Ruptures, un outil essentiel
Qu’ils agissent dans les laboratoires exploitants, à l’officine, dans les établissements de santé ou dans la distribution, les pharmaciens concourent à la lutte contre les pénuries. L’Ordre met à leur disposition un outil pensé pour le partage d’informations en temps réel : le DP-Ruptures.
L’institution poursuit ses travaux pour mobiliser encore plus d’acteurs autour du DP-Ruptures : plusieurs projets sont en cours afin d’améliorer l’interface utilisateur et de rendre les informations sur les ruptures plus visibles par le pharmacien d’officine. Des travaux ont commencé afin de généraliser son usage en application de la feuille de route du Gouvernement.
Mot d'ordre
Carine Wolf-Thal,
présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens

"Chers consœurs, chers confrères, les conséquences d’un accès aux soins et aux produits de santé inégal font régulièrement la une des médias, et je sais combien cette situation complexifie votre quotidien. Depuis des années, l’Ordre interagit avec les autorités de santé et les pouvoirs publics afin de maintenir un accès aux soins et aux produits de santé égal dans l’Hexagone et dans les territoires d’outre-mer. De nombreux projets de réforme sont sur la table, à l’heure où, en France comme en Europe, de nouveaux parlements sont en cours d’installation. Le temps est à l’action, et l’Ordre restera présent et vigilant pour transmettre l’éclairage de la profession, celui d’experts de terrain que vous êtes, qui vous amène à vous engager dans de nouvelles missions."
Notes :
(1) L’organisation territoriale des soins de premier recours. Cour des comptes, mai 2024.
(2) Accès aux soins : vers une bombe à retardement de santé publique ? Enquête Ipsos, 18 mars 2024.
(4) La régulation du réseau des pharmacies d’officine. Igas, octobre 2016.
(5) Panorama de la démographie pharmaceutique 2023.
(7) Le SAS bientôt opérationnel dans toutes les régions. Les actualités de l’Ordre, 4 mai 2023.
(8) Portrait des professionnels de santé. DREES, juillet 2016.
(9) Analyse de l’accessibilité de la population aux laboratoires de biologie médicale. CNOP, janvier 2024 (document interne).
(16) DPGS : la pharmacie positive, 29 janvier-2 février 2024.